La Part d’ombre
Attention, un Simenon peut en cacher un autre : Patrick Roegiers explore la destinée du frère cadet du père de Maigret, Christian qui céda aux sombre sirènes de rexisme.
Dans la famille Simenon, Christian est le plus mal connu des deux frères. Sa vie passionne pourtant Patrick Roegiers qui en a fait le personnage central d’un beau roman. L’auteur du Mal du pays prouve qu’il est aujourd’hui le plus sensible analyste du Plat pays, puisque c’est bien d’une histoire belge dont il s’agit… On y découvre la trajectoire d’un homme qui fut le chouchou de sa très bigote mère, qui « n’aimait pas ce [que Georges] écrivait et ne l’avait jamais vraiment lu ». L’un est fort, l’autre est faible. L’un est brillant, l’autre demeure médiocre. On pourrait multiplier les oppositions manichéennes, mais les choses ne sont pas aussi simples. Grises. Ni noires, ni blanches. Comme l’atmosphère des romans de Simenon (Georges).
Alors que Christian se fond dans les foules tombant en pamoison pour Léon Degrelle, leader du mouvement d’essence fasciste Rex, son frère écrit, au même âge, des articles antisémites au début des années 1920. Plus tard, il mènera belle et grande vie dans la France de la Collaboration… Son frère n’a pas son talent, il demeure un raté, un salaud ordinaire captivé par « ce prêtre de foire qui distribuait des billets d’autobus pour le ciel. Prophète des temps nouveaux, à l’âme ardente et rafraîchissante, au verbe giclant en gerbes flamboyantes, sermonneur exalté, habile sonneur de cloches, Degrelle avait l’art de séduire le cheptel des fidèles. » Dans le roman, il suit son messie maléfique jusque qu’à l’apocalypse du Front russe, endossant l’uniforme de la Légion Wallonie. Dans la réalité, Christian Simenon s’est engagé dans la Légion étrangère pour fuir la justice et a disparu en Indochine. Entre-temps, il aura collaboré activement : bureaucrate zélé dans un premier temps, il finira par tuer physiquement… Dans un style radieux, où les accumulations sémantiques réjouissantes abondent et où les phrases, courtes, claquent comme des rafales de mitraillette, Patrick Roegiers nous fait partager une pathétique destinée qui prend Liège pour cadre, « cité d’enlisement, où flottait une odeur de genièvre, de suie, de pluie, de brouillard et d’ennui. »