Lorsque les arts numériques s’introduisent au Château de Lunéville, les plantes se mettent à chanter et les salles du palais ducal se transforment en laboratoires des temps présents où otte l’esprit de Newton ou de Rousseau.
Le Château de Lunéville, un mini-Versailles provincial ? Voilà de quoi mettre en rogne Thierry Franz, historien de l’art chargé de recherche au Musée du palais construit par Germain Boffrand en 1723 et habité par Léopold Ier ou Stanislas Leszczynski. Son vestibule est un espace résolument ouvert sur l’extérieur, la flore, la faune. « Nous avons l’habitude des jardins de “représentation officielle” au XVIIIe siècle, mais ici la nature perce le bâtiment. La duchesse Élisabeth-Charlotte d’Orléans, s’est fait offrir, par son époux, Léopold, un petit domaine agricole à proximité de ses appartements afin de “jouer à la fermière”. Elle inspira sa petite-fille, Marie-Antoinette et son Trianon. » Hélène Cascaro*, chargée de préfiguration du programme culturel du Château, rappelle le goût de la duchesse pour l’opéra, le théâtre, l’équitation… et la gastronomie issue des récoltes en son potager, de ses « expérimentions culinaires, en société ou dans l’intimité de son foyer à proximité du jardin ». Thierry Franz insiste également sur une invention, une « folie » façon Géo Trouvetou qui épiçait les réceptions : une “table volante” dont le mécanisme complexe permettait de monter les plats du sous-sol où s’agitaient les domestiques jusqu’à la salle à manger où se régalaient les convives. Des maquettes de cette alléchante trouvaille furent présentées ici, dans le cabinet de physique de Léopold : un laboratoire pédagogique mis au service de la pensée newtonienne, dans le vent à l’époque, conçu par Philippe Vayringe, « Archimède lorrain » et horloger de génie.
Cet été, Experientia !, exposition commissionnée par Charles Carcopino se décline en deux mouvements et niveaux de la résidence lunévilloise. Au rez-de-chaussée, des ateliers, expériences à réaliser et autres curiosités donnent un aperçu de ce que fut la dénommée Salle des machines. Après ce « parcours introductif », fait ce jour-là en compagnie de Jean-Charles Masson, Chargé de programmation au Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, nous grimpons à l’étage et traversons l’ancienne enfilade classique du palais plongée dans l’obscurité. Pour notre guide, les installations artistiques questionnent « l’impact inéluctable de l’homme sur son environnement naturel ». Exemple avec Akousmaflore du duo Scenocosme, œuvre faisant chanter les végétaux qui, comme nous autres humains, ont besoin du contact chaleureux des êtres vivants. Cette œuvre horticol-artistique, pourvue de capteurs, invite à se frotter à l’élément naturel et mettre en éveil notre énergie électrostatique au service de la musicalité florale. D’espace en espace, nous découvrons les vortex artificiels, phénomènes tourbillonnants physiques et plastiques créés par Evelina Domnitch et Dmitry Gefland (ER=EPR) ou encore l’installation lumineuse et optique de Candaş Şişman (IPO-cle). La plus vibrante des œuvres est celle de Ralf Baecker, créateur germanique rendant tangible le processus informatique et le flux virtuel d’une délicate manière, comme s’il effectuait une leçon d’anatomie technologique à cœur ouvert. Ce digne descendant de Vayringe, avec ses oscillateurs, électrodes, diodes électroluminescentes et autres signaux sonores vectorisés, met à nu les nouveaux médias qu’il dissèque et poétise. Interface 1 trône au beau milieu d’une des fascinantes salles sombres aux murs défraîchis et aux plafonds abîmés par le temps. Baecker parvient à esthétiser le monde digital avec une pièce à la délicatesse ondulatoire faite d’une complexe structure motorisée où des cordes ordonnées comme un parterre fleuri à la française se mettent à frémir en fonction des informations données par des compteurs Geiger. Le parfait mariage entre études scientifiques et art cinétique. Descartes et Julio Le Parc.
Au Château de Lunéville, jusqu’au 20 octobre
Conférence C’est beau ! Ça sert à quoi ? d’Alain Philippot sur les instruments scientifiques, vendredi 11 octobre à la Chapelle (18h)
* Voir Poly n°205 ou sur poly.fr