La loi des chéries

Photo de Matthieu Zazzo

Si, à 40 ans, Jeanne Cherhal continue à tracer sa route en sillonnant des voies ouvertes par Véronique Sanson, la chanteuse et pianiste surprend en flirtant avec la musique sérielle.

Vous citez essentiellement des femmes – debout ! – lorsque vous évoquez les personnes qui vous portent. Pourquoi des modèles féminins ?
C’est un penchant, depuis longtemps. Les personnes fortes de ma famille sont des femmes et j’ai toujours eu envie de parler de ce qu’être une femme, physiologiquement, psychologiquement… Je suis féministe et mes icones sont en accord avec mes principes.

Nina Simone, par exemple ?
Je l’admire : elle rêvait d’être la première pianiste classique noire, mais a connu une immense frustration face aux interdits de l’époque. Il y a une résilience et un dépassement de soi chez cette musicienne qui a retourné une déception en quelque-chose d’hyper créatif, laissant s’exprimer l’émotion, l’engagement pour un peuple, la profondeur.

Une de vos modèles, Christiane Taubira, partage volontiers son affection pour Quand c’est non, c’est non. Ça vous touche ?
Je ne savais pas : ça me fout la chair de poule !

C’est une chanson pré #metoo ?
Je l’ai écrite après l’affaire DSK / Nafissatou Diallo. Mes préoccupations par rapport à ces questions ne sont pas nées avec le mouvement #balancetonporc, mais il les a renforcées. Un artiste doit une petite longueur d’avance, c’est un lanceur d’alerte. Quand c’est non, c’est non est un slogan à hurler en chœur… Il faudrait d’ailleurs préciser : « Quand c’est pas oui, c’est non ! »

De nombreux titres de l’album L’An 40, comme Fausse parisienne ou Soixante-neuf, semblent avoir été influencés par votre collaboration avec Bachar Mar-Khalifé1. C’est le cas ?
Vraiment, oui ! Le travail que nous avons mené ensemble m’a nourri : il s’agissait d’emmener le répertoire de Barbara sur le terrain des musiques contemporaines, répétitives ou sérielles. Afin de prolonger ce projet, j’ai décidé de faire ma tournée avec un autre pianiste, pour poursuivre cet exercice de superpositions de notes, avec deux pianos sur scène. Ceci dit, ça reste un spectacle de chanson, mais qui autorise des incursions de plages instrumentales, des sorties du format pop. Notre tandem impose l’accord de nos horloges : il faut bien s’entendre, quelque soit notre culture musicale.

Ce dernier disque, enregistré à L.A., exauce-t-il un rêve californien ?
Il a été écrit en 2018 : chaque mois, je partais quelques jours de Paris – à la Réunion, en Auvergne ou dans le Sud de la France – avec pour objectif de revenir avec une chanson. L’enregistrement s’est fait à Los Angeles avec deux batteurs que j’adore et des choristes extraordinaires. J’avais envie de cette chaleur vocale !

À 40 ans, de quelle manière habitez- vous la terre ?
Je suis plus que jamais hyper-consciente du caractère éphémère de notre passage sur cette planète, effrayée par l’état du monde dans lequel nous allons laisser nos enfants. Une catastrophe climatique se profile et je suis choquée par l’inertie des gouvernements face à ce déclin. Alors, en plus de mon engagement, notamment auprès de Cyril Dion2, j’essaye de trouver la beauté là où elle n’est pas évidente, dans le quotidien. Et de faire de mon mieux pour être heureuse malgré cette épée de Damoclès.

L’An 40, édité par Barclay
universalmusic.fr


Au Théâtre de La Rotonde (Thaon-Les-Vosges), jeudi 7 novembre
scenes-vosges.com

Au Théâtre Ledoux (Besançon), jeudi 28 novembre
scenenationaledebesancon.fr

Au PréO (Oberhausbergen), vendredi 29 novembre
le-preo.fr

1 Voir Poly n°196 ou sur poly.fr
2 Militant écolo, co-auteur, avec Mélanie Laurent, du documentaire Demain
cyrildion.com

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