La guerre de son père
Avec Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, le créateur d’Adèle Blanc-Sec narre la destinée de son père au cours de la seconde guerre mondiale. Incontestablement un des plus beaux albums de 2012.
L’image d’Épinal est tenace. Désormais, dans l’imaginaire collectif, Jacques Tardi est indissolublement lié à 14-18. Du Trou d’obus (justement publié par l’Imagerie Pellerin en 1984) au récent livre-disque Des Lendemains qui saignent (regroupant dix chansons revendicatives, protestataires et antimilitaristes), en passant par de multiples autres opus, l’auteur du Démon des glaces était jusque-là l’homme d’un seul conflit. Voilà cependant qu’il se plonge sur 39-45. Exit donc les poilus, l’horreur des tranchés ou les fusillés pour l’exemple. Il a choisi de nous faire partager la destinée de son père à travers un épais volume (près de 200 pages) aux allures de véritable saga familiale animée par plusieurs générations de Tardi. Il y a bien sûr le “héros”, René, pilote de char (« On de dit pas un tank » répète-t-il à l’envi) de l’armée française et prisonnier dans un stalag en Poméranie et l’auteur, Jacques, qui parcourt également l’album, en culotte courtes, dialoguant avec son paternel (un artefact narratif d’une grande efficacité), mais également deux enfants de ce dernier, Rachel (la mise en couleur) et Oscar documentation et recherches iconographiques). Le résultat ? Un album où Tardi se livre comme jamais, la grande Histoire – celle avec un “H” majuscule – rencontrant les destinées individuelles.
Avec trois cahiers d’écolier comme matériau de base – où Tardi avait demandé à son père de narrer ses souvenirs – nous voilà lancés, au fil de planches strictement découpées en trois cases horizontales (un modus operandi déjà utilisé et d’une belle élégance graphique), dans une histoire trouble. De la drôle de guerre à la fin du conflit (le long retour du prisonnier dans la Mère patrie fera l’objet d’un deuxième volume), l’album se déploie, pédagogique certes, mais également sensible… On apprend tout de la vie dans un stalag : la barbarie de certains gardiens, l’humanité de quelques autres (on croisera même un soldat allemand communiste !), les petitesses, les trafics en tout genre, le travail éreintant, les compromissions des uns (la collaboration est très en vogue chez certains prisonniers), les résistances des autres, les désirs d’évasion… et surtout la faim omniprésente et l’incessante quête de nourriture. Les P.G. (Prisonniers de Guerre) sont des humains, (tellement humains) qui tentent de survivre… Finalement que Tardi se plonge au cœur du maelström du premier conflit mondial ou du tourbillon du second, on en arrive toujours à la même rassurante (et logique) conclusion : Putain de guette !
www.casterman.com