La Fabrique du réel

Andreas Gursky, Pyongyang I, 2007 © Andreas Gursky / VG Bild-Kunst, Bonn 2015 ; Courtesy Sprüth Magers

Prodiges de technicité, les immenses photographies d’Andreas Gursky ont investi le Museum Frieder Burda, proposant un état du monde nimbé d’une puissante poésie.

Dans les photographies monumentales d’Andreas Gursky, l’influence –parfaitement assumée – de ses maîtres Bernd et Hilla Becher est perceptible. Le couple allemand a construit une typologie de l’architecture industrielle, alignant comme à la parade usines, châteaux d’eau ou encore hauts-fourneaux. Cette volonté documentaire existe aussi chez le photographe le plus cher au monde aujourd’hui (avec Rhein II adjugé 4,3 millions de dollars en 2011), même s’il considère que la « seule manière de représenter la réalité est de la reconstruire ». Ainsi, ses clichés sont-ils minutieusement composés, retravaillés et scénarisés à l’extrême, bidouillés par des batteries d’ordinateurs : le spectateur est d’abord frappé par un tout, à la fois gigantesque et graphique. Les lacets de la mythique montée de l’Alpe d’Huez du Tour de France, par exemple, semblent d’une grande cohérence, mais cette « image est faite de soixante images juxtaposées et imbriquées. Un challenge technique immense. » Comme dans un tableau de Breughel ou de Bosch, il faut se plonger dans les fragments de la totalité pour en saisir la portée. Où va cette route ? Que fait ce type qui ne semble pas à l’échelle dans une posture bizarre ? Happé dans une dialectique proche / lointain, chacun perd ses repères. Mis en scène, le monde manifeste sa complexité, des récoltes d’asperges à Beelitz aux immeubles de Montparnasse, en passant par un circuit de F1 cauchemardesque à Bahreïn ou les guichets d’enregistrement de l’aéroport de Francfort avec leurs panneaux où apparaissent des centaines de noms de villes. Cette dernière composition est une manière « de montrer que la planète se rétrécit de plus en plus ». Il s’est aussi intéressé à Arirang, spectacle de masse organisé au Stade du 1er mai de Pyongyang suggérant curieusement que l’individu peut être tout aussi solitaire au milieu de ses frères humains dans la dictature des Kim que dans nos sociétés. Pour certains travaux éminemment picturaux, l’artiste semble pourtant s’éloigner des clichés documentaires et spectaculaires qui ont fait sa célébrité : une surface d’eau de Bangkok évoquant les Nymphéas de Monet ou une plongée en hyper gros plan au cœur d’une toile de Van Gogh. Dans l’exposition se trouvent même « trois images qui n’on pas été retravaillées, de véritables instantanés », comme une composition footballistique dont le gazon possède une couleur surnaturelle. « Quand on s’est habitué à travailler comme je travaille, c’est très difficile de faire des photos », conclut-il, malicieux.

Au Museum Frieder Burda (Baden-Baden), jusqu’au 24 janvier

+49 (0)7221 398 98 0 – www.museum-frieder-burda.de

 

vous pourriez aussi aimer