La diagonale du fou
Entre Expressionnisme allemand et Sécession viennoise, l’adaptation en BD du Joueur d’échecs de Zweig par le dessinateur strasbourgeois David Sala est un coup de maître. Il sera un des invités de marque du Festival du Livre de Colmar.
David Sala ne s’était pas aventuré dans les cases de la BD depuis 2013 (et Cauchemar dans la rue*), multipliant les albums jeunesse. Avec Le Joueur d’échecs, il fait un retour fracassant, proposant une adaptation de la longue nouvelle de Stefan Zweig, où il souhaite « trouver le juste équilibre entre texte et image. L’idée de départ était de réaliser un album lumineux, de ne pas avoir d’ombres portées, faisant naître les contrastes par des couleurs directes à l’aquarelle. » Après avoir construit rigoureusement la planche à partir d’un story-board et des croquis successifs, il y « plonge, à l’instinct. Cela permet une grande liberté, évitant tout automatisme et toute routine » pour une histoire dont il transcrit à merveille l’atmosphère oppressante, rendant les scènes d’enfermement avec une maestria rappelant curieusement la rigueur et l’absurdité géométrique de Marc-Antoine Mathieu et la virtuosité narrative d’Alberto Breccia.
Sur un paquebot voguant en direction de l’Argentine, Mirko Czentović, grand maître des échecs, affronte un mystérieux joueur, Monsieur B. En Autriche, ce dernier avait été enfermé par les nazis, n’ayant à sa disposition, pour se distraite de la solitude, qu’un livre rassemblant de mythiques parties d’échecs qui l’a sauvé… et entraîné aux limites de la folie. Véritables tableaux, les planches de David Sala sont pleines de « réminiscences d’inspirations [qu’il] traîne depuis des années et ressurgissent de loin en loin. » Si l’histoire se passe en 1941, il a choisi un univers visuel légèrement anachronique, celui des années 1920 pour mettre en images ce Monde d’hier2 où les visages ressemblent à l’improbable rencontre entre les personnages peints par George Grosz ou Otto Dix et ceux représentés par Egon Schiele et de Gustav Klimt. Ils évoluent dans des décors très soignés aux teintes aqueuses, sourdes et mélancoliques, oscillant entre l’existence légère et insouciante d’une élite indifférente aux horreurs de la guerre et l’enferment mental suffocant où évolue B. à la semblance de dédales oniriques où le motif de l’échiquier possède une place centrale, rappelant certains épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir.
> David Sala sera aussi présent à La Parenthèse de Nancy (03/11), chez Hisler BD à Metz (04/11) et chez JD BD à Strasbourg (16/12) est paru chez Casterman (20 €)
1 Voir Poly n°159
2 Pour reprendre le titre de l’autobiographie de Stefan Zweig sous titrée Souvenirs d’un Européen