La chair et l’esprit
Année du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, 2013 débute bien au Badisches Staatstheater de Karlsruhe avec une production de Tannhäuser en forme de réflexion sur l’amour. Charnel ? Désincarné ? Mais pas les deux à la fois…
Un immense plateau délimité par des murs métalliques alvéolés dont la couleur varie en fonction des sentiments qui se déploient sur scène : le décor des trois actes de ce Tannhäuser monté par Aron Stiehl et la plasticienne rosalie (lumières et costumes) est une épure peuplée de sculptures pyramidales oniriques, figurant un surprenant Venusberg ou de “sièges tonneaux” chromés, pour une Wartburg post-moderne. Des choix artistiques cohérents pour une mise en scène contemporaine au caractère germanique affirmé, où même les chasseurs sont en Tracht bavarois. Le choix de faire interpréter les personnages de Vénus et d’Élisabeth par la même chanteuse (Christina Niessen, le soir de notre venue, le dimanche 9 décembre 2012, qui possède la sensualité et l’élégance nécessaires aux deux rôles), est d’une grande cohérence. En perruque noire glamour pour la première et blonde (un brin gnangnan, il faut l’avouer ; pour elle, l’amour physique est évidemment sans issue), pour la seconde, elle incarne les deux faces de la même médaille, amour charnel et sentiment pur, entre lesquelles le héros est brinquebalé. « Tannhäuser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le cœur humain pour principal champ de bataille, c’est-à-dire de la chair avec l’esprit, de l’enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu » écrivait Baudelaire (dans la Revue Européenne du 1er avril 1861 pour sa seule critique musicale) : jamais cette assertion ne fut aussi bien illustrée que dans cette fusion.
Toute la mise en scène est irriguée par cette dualité, du ballet lascif du premier acte à l’altière noblesse du décor du concours de chant avec ses statues rutilantes vaguement inquiétantes, comme si le monde des hommes, prude et naïf (en témoigne le décor dans lequel débarquent les chasseurs, champêtre et kitsch) entrait en conflit avec celui de la déesse. Errant entre les deux, Tannhäuser (John Treleaven, impeccable) ne réussit pas à choisir. Perdu. Nous suivons ses hésitations, portés par une Badische Staatskapelle des grands soirs dirigée par un pointilleux et inspiré Johannes Willig et accompagnée d’un monumental chœur, indispensable pour une telle œuvre. Émerveillés.
+49 721 355 70 – www.staatstheater.karlsruhe.de