La _jeanne_dark_ 2.0 de Marion Siéfert
Quand un live Instagram rencontre les planches d’un théâtre, cela donne _jeanne_dark_ de Marion Siéfert,récit implacable d’une ado harcelée.
« Très rapidement, je voulais que le spectacle soit vu sur les réseaux sociaux », explique Marion Siéfert, metteuse en scène et fondatrice de la compagnie Ziferte Productions. Inspirée par la figure de Jeanne d’Arc – avec qui elle partage Orléans, ville où elle a passé son adolescence, ainsi qu’un lien étroit avec la religion catholique –, elle souhaite lier cette partie de sa jeunesse, « période honteuse [qu’elle a] rangée au fond du tiroir », à un personnage fictif contemporain. Mais, pour parler d’un jeune d’aujourd’hui, il lui parait difficile de laisser de côté les plateformes dont raffole la nouvelle génération… Aux côtés de Matthieu Bareyre, cinéaste avec lequel elle collabore depuis 2017, elle comprend l’évidence de leur trouver une place et Instagram coche alors toutes les cases. « Cette idée est née en 2019, donc à l’époque, TikTok était encore trop marginal et principalement utilisé par des collégiens », continue Marion Siéfert. Davantage mainstream et moins contraignant, le réseau américain est la porte d’entrée idéale pour plonger dans le monde des lycéens et donner la parole à Jeanne. Victime de harcèlement, elle s’empare de son iPhone et partage les insultes, humiliations et critiques sur sa virginité, n’hésitant pas à rentrer dans les détails, crûment, au point d’exploser.
C’est là que la double-lecture commence : d’un côté, le public présent assiste à son épanchement sur scène. De l’autre, les personnes connectées et suivant le compte_jeanne_dark_ écoutent son histoire, en direct, depuis leur téléphone portable. « On confronte deux formes du spectacle, deux types de spectateurs conscients qu’au théâtre, il leur manque le point de vue d’Instagram, et inversement. » Au plateau, deux grands écrans latéraux retransmettent le live de la jeune fille. Les commentaires défilent sur la vidéo, constituant un ressort unique dont peut s’emparer Helena de Laurens, l’interprète. Au centre, la chambre se dessine. Entièrement faite de papier et habitée d’une lumière diffuse, cet ensemble fragile fait écho à la vulnérabilité de l’adolescente. Construite sous forme de triptyque, la scénographie renvoie ainsi à l’éducation religieuse de la metteuse en scène et aux retables, tel un miroir questionnant l’iconographie à travers les siècles, entre représentation de saintes à travers des corps féminins, sensuels et couverts pour l’une, cherchant à « attirer la ferveur des fidèles », et obsession de l’image dénudée pour l’autre, favorisée, dans une certaine mesure, par les algorithmes. « Si la photo Instagram est censée être une photo parfaite, ici, on appuie sur la laideur, on ne fait pas ce que l’on est censé faire. […] Des fois, on se retrouve au coeur de la violence de Jeanne, de ses émotions refoulées, ce qui peut ressembler… à un film d’horreur », conclut Marion Siéfert avec un sourire.
Au Centre culturel André Malraux (Vandoeuvre-lès-Nancy) mardi 25 et mercredi 26 février