L’hiver de l’amour
Après Così fan tutte (2011), le metteur en scène allemand Philipp Himmelmann poursuit sa trilogie Mozart / Da Ponte au Festspielhaus de Baden-Baden avec un Don Giovanni à la semblance d’une pure perfection.
On se souvient d’un Don Giovanni donné en version concertante, sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin, dans la même salle (juillet 2011) avec un casting de grand luxe qui ne nous avait cependant pas intégralement convaincus, malgré une élégance plastique, une absence de mauvais goût et une belle adéquation entre les chanteurs et les rôles (que l’on retrouve dans le disque publié chez Deutsche Grammophon). En dépit de l’exquis Ildebrando D’Arcangelo dans le rôle-titre, de deux monstres sacrés (Diana Damrau et Joyce DiDonato) et d’une révélation mêlant grâce diaphane et incandescence, Mojca Erdmann (Zerlina éclatante), se dégageait de l’ensemble une impression trop lisse, laissant de côté le côté sombre et méphitique de l’œuvre… Autant dire que cette nouvelle production éclipse la précédente et s’impose comme le plus beau Don Giovanni qu’on ait jamais vu. Les raisons ? Une mise en scène éblouissante et un casting à nouveau somptueux sur le papier mais qui réussit à s’imposer avec puissance à la scène. Remarquons évidemment Erwin Schrott qui n’incarne pas Don Giovanni, mais est Don Giovanni, à la fois bombe de sensualité et libertin impavide, à la voix puissante et racée, capable des plus intenses finesses. Il est accompagné d’un Leporello de haute volée, Luca Pisaroni (déjà présent dans la version concertante de 2011), éblouissant comédien au phrasé impeccable et à la souplesse vocale étonnante. Et que dire d’Anna Netrebko ? Celle qui, à la ville, forme un des couples les plus glamour de la scène lyrique avec Erwin Schrott, est tout simplement p-a-r-f-a-i-t-e dans le rôle de Donna Anna. La soprano autrichienne d’origine russe rayonne, explose, entraîne le spectateur vers l’extase et l’harmonie. Deux mots qui s’appliquent également à la baguette de Thomas Hengelbrock ciselant la partition avec intensité à la tête du Balthasar Neumann Ensemble.
Pour la mise en scène, on retrouve l’immense arbre, élément central du décor déjà présent dans Così : il est désormais décharné, sombre et glacé. Pour Philipp Himmelmann, Don Giovanni n’est en effet « pas la mort de l’amour, mais pas loin. Le triomphe névrotique de la raison ». Autour de ce pivot, le metteur en scène choisi un dispositif simple – pour ne pas dire dépouillé – privilégiant une direction d’acteurs d’un grande justesse à des effets de manche qui forment le cœur de trop de productions aujourd’hui. Des costumes contemporains (soulignant l’intemporalité du mythe) passe-partout, un décor dépouillé (autour de l’arbre, quelques fauteuils, une fosse, des tombes à la fin…), l’utilisation intelligente d’un rideau créant des espaces géométriques où évoluent les chanteurs, des éclairages de très haut niveau (signés David Cunningham, ils ont une place centrale) : voilà les ingrédients d’une lecture subtile du chef d’œuvre de Mozart dont Philipp Himmelmann nous offre une fin éblouissante et grandiose à la fois laissant le spectateur émerveillé, parcouru de frissons de terreur et de bonheur mêlés.
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