L’Arnaque du siècle
Avec sa dernière création, David Lescot déroule au TNS la vie de l’escroc ayant inspiré à Bernard Madoff sa propre entourloupe. Le Système de Ponzi [1. Le Système de Ponzi, Actes Sud-Papiers, janvier 2012 (16 €) – www.actes-sud.fr] ou l’origine du capitalisme financier et de son cortège : l’arnaque à la chaîne.
Comment avez-vous découvert l’histoire de Ponzi ?
En m’intéressant à celle de Madoff. J’ai toujours trouvé plus saillant de parler des choses par le biais de la trajectoire d’un individu. Madoff faisait référence à la “chaîne de Ponzi”. J’ai fouillé de ce côté et eu l’impression de découvrir la mise en place du système financier actuel. Il me plait d’aborder ces zones obscures de l’esprit où le danger de gagner et de perdre est plus fort que tout.
Carlo Ponzi (1882-1949), émigré italien en quête de réussite aux États-Unis a un parcours semé d’embûches. En toile de fond, nous découvrons le sort des milliers d’immigrés européens vivant de basses besognes, de petits jobs et, parfois, d’arnaques…
C’est le sujet de fond : comment fait-on sa place dans la société ? L’histoire de l’immigration est fondamentale, notamment aux États-Unis. Le pays s’est construit sur différentes vagues : Irlandais, Italiens, Polonais… D’ailleurs Ponzi travaille au corps ses compatriotes. Lorsqu’il arrive enfin à tisser des réseaux, à sortir de sa communauté, tout se développe dans des proportions faramineuses, le faisant millionnaire en quelques mois.
Ce petit escroc culotté, changeant de nom, fera plusieurs séjours en prison avant son gros coup. Qui le fait basculer ? Zarossi, banquier véreux, Morse, spéculant à Wall Street sur le cuivre ou, plus simplement, le goût du risque ?
Son moteur, c’est le syndrome de l’inventeur. Il pense que dès qu’il a une idée, tout bascule. J’ai toujours été fasciné par les types du Concours Lépine, capables de changer leur vie avec une invention. Ponzi c’est la même chose, mais du côté illégal, même s’il lance son système sans savoir que ça l’est. Mais il est cruel de constater que ses principales victimes ont été de petites gens, contrairement à Madoff qui ne prenait que les grosses fortunes !
En même temps, c’est un personnage paradoxal, capable de donner sa peau pour une infirmière. Il sillonne le pays du Nord au Sud, de petits jobs en galères. Quelle est la part de fable dans tout cela ?
C’est un anti-héros, un voyou pourri et en même temps d’une grande générosité. Il est impossible de trancher, de savoir s’il est vraiment bon ou mauvais. J’ai pris très peu de liberté avec ce que l’on sait de lui. Mais comme nous avons peu de choses excepté son autobiographie, écrite en prison, comment savoir la vérité ? Un effet onirique plane sur la pièce…
Comment fonctionne ce qu’on appelle depuis “la chaîne de Ponzi” ?
À l’époque, il n’existe pas de timbres internationaux. Pour envoyer un courrier il faut un “coupon réponse international” qu’on vous change contre des timbres dans chaque pays. La parité des monnaies a été balayée par la Grande guerre. Du coup, vous n’obtenez pas la même valeur de timbre selon que vous les achetez en Italie, en Espagne ou aux États-Unis. Voilà ce sur quoi il joue. Mais en réalité, il ne l’a jamais mis en œuvre. Il n’a jamais acheté le moindre coupon réponse. Il l’a simplement fait croire ! Car il était impossible de se les faire rembourser en cash. Surtout dans les quantités qu’il annonçait. Il a simplement servi cette fable des taux de change et des coupons à des milliers de souscripteurs, leur faisant miroiter un gain de 50 % en 45 jours. En fait, il remboursait les premiers avec l’argent des suivants, utilisant le roulement des souscriptions. Cela lui permet d’être millionnaire en quelques mois. Il avait inventé la “chaîne de Ponzi” : la promesse de rendements très importants en n’utilisant que l’argent des suivants, sans jamais les placer. Cela marche car il accepte sans broncher de rembourser les sceptiques qui, du coup, remettent de l’argent au pot ! Sa meilleure pub !
Finalement, la trajectoire de cet immigré sans le sou jouant avec les règles du milieu des affaires met à jour un système…
Tout à fait, l’escroc est un révélateur du système plus qu’il ne le crée. Il a étudié ses rouages et trouvé les failles. Ponzi prendra des parts importantes dans plusieurs banques, mettant des fonds qu’il n’a pas réellement dans la boucle… Cela conduit le système à sa perte, comme aujourd’hui lorsqu’on renfloue les banques et qu’elles refont des bénéfices mirobolants juste derrière. Leur soif est folle…
Le schéma décadence / grandeur / décadence est parfait pour exalter un public ?
Il m’a toujours intéressé et touché car c’est ainsi qu’on saisit l’humain qui est plus exemplaire dans ses échecs que dans ses triomphes. C’est un peu comme dans L’Homme qui voulut être roi de John Huston où deux hommes vont trop haut, l’un se prenant carrément pour Dieu. La même folie…
Une dizaine de comédiens interprète près de 80 rôles. Comment montrer aux spectateurs les nombreux changements de lieux, d’époques et de continents ?
Nous avons trouvé une scénographie mouvante, faite de choses simples. Je souhaitais un théâtre revenant à l’essence enfantine : le plateau est une sorte de jeu de construction où des tables s’agencent pour figurer une maison, un bateau, un café, une prison… Les comédiens changent sans cesse de costumes, ils habitent la scène avec sa perspective de portemanteaux.
La musique est toujours très présente dans vos spectacles. Ici, proche de la comédie musicale, version jazzy ?
Pas seulement. J’ai cherché à évoquer l’époque et l’esthétique des années 1920. Ce qui était moderne l’est resté : Charleston, New Orleans, ragtime… C’est ce moment de métissage où les rythmes d’Afrique et d’Europe se mêlent. Les musiciens prennent des rôles, les comédiens des instruments. Le spectacle est joyeux, nous voulions regarder le système flamber mais pas en tirant la tronche, plutôt dans l’allégresse !
03 88 24 88 24 – www.tns.fr
Théâtre en pensées, rencontre avec David Lescot animée par Olivier Neveux, lundi 16 avril, à 20h au TNS – Réservations au 03 88 24 88 00