Momix : chant du cygne ou renaissance du phénix ?
Le festival Momix pourrait être le dernier sous cette forme, à Kingersheim. Retour sur une édition marquée par des baisses de subventions.
Pour ses derniers mois à la tête du Créa de Kingersheim, qu’il dirige depuis 1992, Philippe Schlienger ne pensait pas vivre une telle tempête. Avant de partir à la retraite, il aura dû se battre pour la survie de son rendez-vous étendard, le Festival Momix, l’un des plus importants en France. Il croyait pourtant avoir fait le plus dur en temps de Covid, mais c’était sans compter sur une coupe sèche de 100 000 euros de la subvention municipale, soit « la moitié de sa contribution au festival international jeune public, dont le budget est de 600 000 euros ». À l’automne, le commissaire aux comptes donnait 15 jours à la structure pour trouver l’équilibre malgré cette baisse. Après les douloureuses fermetures du Théâtre Gérard Philipe à Frouard (2018), l’abandon de toute ambition au Théâtre de Lunéville après le choix par la municipalité de déconventionner La Méridienne en 2020 et le fauchage de toute la saison de La Machinerie 54 à Homécourt cet automne, c’est une quatrième scène conventionnée du Grand Est qui est menacée de disparition. K.O debout, l’équipe plie mais ne rompt pas. S’organise, réduit la masse salariale de deux équivalents temps plein, renonce aux primes de fin d’année comme aux aides à la production se décidant habituellement en fin d’année civile. Les répercussions sur les artistes ne font que débuter. Avec trois lieux de moins dans Kingersheim, Momix 2023 sera amputé d’un tiers des compagnies qui devaient y jouer, la ville étant le navire amiral de l’événement, qui conserve une fière allure en trompe-l’œil grâce à son emprise territoriale : décentralisations (Momix en balade) et programmations de lieux partenaires dans toute l’Alsace. « 18 compagnies de moins afin de limiter les licenciements et de préserver le rendez-vous, nous n’avons pu faire mieux, obligés de rogner les projets périphériques. Nous réussissons tout juste à maintenir notre travail auprès des 3 000 élèves qui bénéficient de nos projets d’éducation artistique et culturelle à l’année », assure, dépité mais pas abattu, le directeur historique.
Se réinventer ou disparaître
La Ville a besoin de quelque 1,5 million d’euros d’économies en 2023. Mi-octobre, elle annonçait également un recul de 200 000 euros de sa subvention l’an prochain sur un total de dépenses directes d’1,1 million, induisant la fin de la Scène conventionnée du Créa et un projet bien plus modeste, sans place pour le festival Momix. Pas d’alternance politique en cause, mais « de nouveaux édiles n’ayant plus la culture autant chevillée au corps. J’ai presque été étonné, vu leurs difficultés budgétaires actuelles, de la réaction rapide des autres collectivités territoriales : la Région Grand Est a débloqué 20 000 €, la Collectivité européenne d’Alsace 15 000 €, complétant une aide exceptionnelle d’urgence de 40 000 € de la Direction générale de la création artistique. » L’avenir devrait se jouer à l’échelle de Mulhouse Alsace Agglomération, autour de La Filature, mais aussi de la Passerelle à Rixheim, spécialisée dans l’enfance, ou de L’Espace 110 à Illzach. « C’est peut-être un mal pour un bien, l’occasion de repenser l’offre jeune public à une échelle plus grande. Il faudra pour cela créer une structure légère, à la gouvernance partagée, avec une personne garante de la ligne artistique dédiée à la création, qui fait partie de l’ADN du festival Momix. Outre le festival dont elle porterait la programmation et le travail de territoire, elle pourrait imaginer définir une offre globale de saison, rendant lisible le secteur jeune public tout en respectant le cahier des charges de chacun des partenaires », s’enthousiasme Philippe Schlienger, qui pose ainsi les bases de la reconstruction et des perspectives pour l’avenir.
Les pépites de 2023
Mais l’heure est à l’artistique, avec une belle place à la danse et à la musique. Les Wackids (dès 6 ans, 04/02, Noumatrouff, Mulhouse)1 remplacent leurs vrais instruments par des jouets afin de revisiter les tubes des années 1990. Leur Rock’n’Toys ne se contente pas d’être décalé et drôle : il dépote sacrément ! Pour une fois, pas sûr que les enfants chantent aussi fort que les parents sur les hits de Rage against the machine, Nirvana et Blur ! Même époque musicale pour La Chambre d’eaux de Marie Barbottin (dès 6 ans, 25/01, La Filature, Mulhouse)2, dans laquelle la chorégraphe rémoise questionne les injonctions de genre naissant dès l’enfance. Autour d’une simple baignoire, elle se joue avec humour des stéréotypes et des archétypes véhiculés par l’art, de la Renaissance à l’imagerie des contes de fées. Avec la complicité de Catherine Verlaguet et de Yan Giraldou (dansant et signant en langue des signes française), les diktats en prennent pour leur grade avec jubilation. Autre question sociale, celle de la solitude et de la précarité dans Dominique toute seule (dès 7 ans, 05/02, Salle Cité-Jardin, Kingersheim). La compagnie belge Au détour du Cairn donne voix à une femme qui « se sent devenir transparente ». Il faudra l’éclat de la lune, les arbres d’une forêt et quelques rencontres pour qu’elle retrouve sa petite musique à elle au milieu de sa nuit. Du côté du collectif l a c a v a l e, formé en 2010 par des artistes issus du théâtre et du cinéma documentaire, JO&LÉO (dès 12 ans, 03/02, Hangar, Kingersheim) conte les amours et la quête identitaire de deux jeunes filles, soumises au jugement des autres et de la société. L’autrice Julie Ménard avait envie d’écrire sur une histoire d’amour d’ados au moment des manifestations contre le Mariage pour tous. Cela s’est fini par la création, sciemment, d’autres modèles féminins sur scène. L’amour changera le monde.
À Kingersheim et dans divers lieux partenaires en Alsace du 26 janvier au 5 février
momix.org
1 Également en tournée au Théâtre de Charleville-Mézières (31/03) et à L’Illiade (Illkirch-Graffenstaden) 02/04
2 À voir ensuite à Côté Cour (Besançon) du 31/01 au 04/02