Julie Bérès et La Tendresse au Théâtre National de Strasbourg
Julie Bérès signe une fresque performative sur la construction masculine. Entre héritage de l’éducation et injonctions contradictoires, La Tendresse dresse un portrait du mâle dans le mal.
Quoi de plus politique que les frontières intimes des imaginaires qui nous séparent, nous cloisonnent ou nous réunissent ? Avec Lisa Guez, Alice Zeniter et Kevin Keiss, Julie Bérès est partie enquêter auprès de jeunes hommes d’aujourd’hui, tentant de comprendre et de témoigner de leur rapport à la masculinité, la sexualité, l’image sociale mais aussi aux filles, à ce qu’ils croient être la norme, ce qui les trouble et les agite. En 2016, la metteuse en scène et autrice s’était intéressée au deuxième sexe. Désobéir témoignait du besoin pour les femmes de trouver leur propre espace, où être ce qu’elles veulent, loin des volontés des hommes de la famille, des rôles assignés ou des traditions (d’ici et d’ailleurs). La Tendresse se penche sur huit comédiens et danseurs. Parcours et provenances variés, culture classique et hip-hop entremêlées dans un joyeux tintamarre. Pourtant très documenté et écrit, les paroles surgissent dans un flot continuel, d’apparence très oral, avec les vannes et défis permanents caractéristiques de cette génération. La pudeur se cache derrière des monceaux de paravents et d’exagérations répondant à l’image que les autres et le groupe attendent d’eux. Ou du moins celle qu’ils croient qu’ils attendent, tant il parait difficile de parler à coeur ouvert, même entre mecs.
Virilité chahutée
Dans un décor de bunker brut, chacun fanfaronne à sa manière, s’enfermant dans un personnage : le charo prêt à tout pour tomber les filles, le galant calculateur, l’addict au porno, les pros des profils et messages sur les applications de rencontre… La déconstruction de l’identité masculine passe par une prise de distance avec les injonctions à la force, au courage permanent, à l’absence de faille. Les corps musculeux sont respectés – ou craints –, les railleries ciblent toujours les divergents, s’acharnant sur les gros ou les frêles. Alternant parties chorales et moments intimes, danse et confidences, la pièce penche vers une libération des carcans, sans les cacher, assumant même de tester, en direct sur les femmes du public, ses techniques de drague dans un concours improvisé. De quoi rappeler que faire tomber les masques n’est pas chose aisée. Il est plus facile de coller au groupe, de jouer les durs en battle dress kaki et de se mentir (collectivement) à soi-même, que de se confronter aux autres en affirmant ce qu’on désire être au plus profond. Le chemin parcouru tend vers un besoin de consolation immense, une redéfinition des rapports fraternels et l’invention de réponses – intimes mais partagées – au consentement, aux rapports plus égalitaires avec les femmes, au dépassement de l’éducation reçue et son immense décalage avec les questions actuelles.
Au Théâtre national de Strasbourg du 4 au 14 octobre
tns.fr
> En tournée au Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul) jeudi 7 mars 2024 et au Théâtre de Montbéliard mardi 7 mai 2024
theatre-edwige-feuillere.fr – mascenenationale.eu