Dans la nouvelle pièce de Stanislas Nordey, un des premiers textes de Wajdi Mouawad, Damien Gabriac se glisse dans la peau de John1. Un adolescent enregistrant une confession à sa famille avant de se suicider.
Comment approche-t-on un texte aussi frontal et dur, racontant sans détour colère et douleur trop insupportables pour continuer à vivre ?
Ce n’est pas anodin mais c’est aussi une très belle matière à jouer. John est traversé par beaucoup d’émotions avant d’en finir et lorsqu’il parle il nous touche sans artifices. Son geste reste extrême mais je me raccroche au vivant, à ce qu’il pense. Il peut apparaître sensible, fou, normal, plein de colère, faisant des enfantillages ou être violent…
Vous jouiez Simon dans Incendies2. John paraît très proche de lui. Interpréterez-vous ses mots fleuris d’ex pressions québécoises de la même manière ?
Pour moi c’est le même personnage dans une autre pièce. Leurs similitudes sont incroyables. Avant d’être metteur en scène, Wajdi Mouawad était comédien. C’est pourquoi ce qu’il écrit est toujours un réel plaisir à jouer car tout est clair à la lecture. Je devais déjà dire pas mal de « criss », « câlisse », « hostie » avec l’accent français, car je ne suis pas québécois. Là, il y en a énormément et je ne suis toujours pas québécois donc je ne mets pas l’accent. Mais ça passe très bien, créant une langue étrange comme peut l’être l’argot qui évolue tous les trois mois d’un jeune d’aujourd’hui ! Cela dessine une figure d’adolescence réaliste.
Comment vous préparez-vous à être, dès votre entrée sur la plateau, ce jeune rempli de haine pour sa « criss de vache de mère » ayant une brique à la place du cœur, qui ne se supporte plus et veux « juste plus avoir mal »…
J’impose d’être seul et pas dérangé 45 minutes avant le début. J’ai besoin de ce temps pour me concentrer, faire monter beaucoup d’émotions en moi car le rapport sur scène est très frontal : la caméra est placée au premier rang, je suis à un mètre cinquante du public ! Tout est très “timé” : je dois être très impressionnant par mon état émotionnel dès mon entrée. Tout au long du spectacle, j’ai des rendez-vous obligatoire : en colère contre ma mère, puis en larmes… C’est un mélange de technique pure et d’émotion avec mes vraies larmes et rires. Une véritable performance de tenir un cheval au galop durant 45 minutes. Le seul moment de plaisir est le moment de jeu au plateau.
Arrivez-vous à sentir le public, à lâcher prise ou êtes-vous dans votre bulle de jeu ?
Il y a un grand rapport avec le public, souvent un silence de mort où personne ne bouge ne serait-ce que ses jambes. Il y a beaucoup de pleurs. La pièce est sombre, sur un sujet tabou. Même si Nelly, la sœur de John, fait un monologue réparateur à la fin, cela reste noir.
Au Théâtre national de Strasbourg, du 18 au 29 mars
tns.fr
Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, du 8 au 19 avril
theatre-quartiers-ivry.com
Au CCAM (Vandœuvre-lès-Nancy), du 4 au 8 février 2020
centremalraux.com
1 Cette pièce a été créée dans une version “légère” dans le cadre du programme Éducation & Proximité porté par le TNS, La Colline et La Comédie de Reims. Un parcours spectateurs et des ateliers de pratique mélangeant lycéens d’établissements d’enseignement général et professionnel tns.fr/education-proximite
2 Autre pièce de Wajdi Mouawad montée par Stanislas Nordey en 2008 et reprise en 2016 au TNS, voir Poly n°187