Jeune cerf
En janvier 2017, Joël Philipps prenait les rênes du Cerf, établissement étoilé au Guide Michelin depuis 1936 : nous lui avons rendu visite un an plus tard, séduits par un mélange de fidélité à la tradition de la maison et d’excitantes explorations.
« Le Cerf1 c’est ma famille » : pour Joël Philipps (31 ans), il s’agit d’une évidence. Il a appris son métier de cuisinier pendant huit ans – avec une parenthèse de quelques mois chez Marc Haeberlin – auprès de Michel Husser, « [s]on père spirituel », avant de faire une escapade dans le Jura au Château du Mont Joly, avec Romuald Fassenet2, parce qu’il voulait « travailler avec un Meilleur Ouvrier de France. Ce titre est un rêve de gosse : je commence les sélections pour le décrocher en avril », explique celui qui a ouvert Esprit terroir (Strasbourg) en mai 2014, dont la philosophie était de « chercher les meilleurs produits dans les terroirs français ». Le résultat ? Une Étoile au Guide Michelin en quelques mois qui crée la sensation. À l’étroit dans un restaurant rikiki, il est de retour à Marlenheim, où il travaille avec Michel Husser, devenu son conseiller, et ses deux filles (côté l’administration et communication).
Dans une maison pétrie de tradition, le credo de Joël Philipps pourrait se résumer par une maxime : le changement dans la continuité. « Les bases de la cuisine du Cerf sont dans mon sang », s’amuse-t-il. Choisissant de laisser à la carte, inchangés, des plats mythiques (la plus belle choucroute de la planète pour Le Monde ou la bouchée à la reine de l’arrière-grand-père Paul Wagner), le jeune chef en a également revisité certains autres, twistant la légende avec, par exemple, une émouvante gelée de vin chaud pour le foie gras, très réussi tribute to Michel Husser. Pensons aussi à une crêpe Suzette new style où l’acidité d’un sorbet à l’orange sanguine joue à cache-cache de jubilatoire manière avec la douceur d’un coulis de caramel au Grand Marnier. La fusion idéale des goûts et des textures de l’œuf parfait accompagné d’un craquant risotto de légumes d’hiver et champignons sauvages, d’une aérienne espuma au parmesan – effet wahou garanti – et d’un streussel au paprika est une belle illustration de la maîtrise d’un cuisinier dont on sent l’identité et l’inventivité dans des plats affinés, raffinés et très graphiques qui ont parfois la semblance d’un élégant tableau abstrait, plein de délicatesse et de goût(s). Cela devrait permettre, objectif avoué, de « reconquérir une deuxième Étoile au Michelin ».
1 Voir Poly n°155 et n°180 et sur poly.fr