Je suis une légende
Partageant l’intime d’une vie déracinée, Gaston-Paul Effa nous transporte, avec Je la voulais lointaine, dans une quête identitaire entre son Afrique natale et sa vie en Lorraine. Le professeur de philo et romancier sera l’un des invités de la Foire du Livre de Saint-Louis. Entretien.
Pourquoi avoir donné le prénom d’Obama à votre personnage principal ?
Toute ressemblance avec un Président est fortuite. C’est un nom panafricain, une sorte de Meyer ou de Martin du Cameroun jusqu’au Gabon. C’est aussi celui d’un épervier ou d’un aigle, sorte d’Hermès ou de Mercure africain, toujours entre ciel et terre, qui peut tutoyer le soleil sans se brûler les yeux. On dit aussi qu’il ressemble à un nuage car il se charge d’eau que boiront ceux qui n’ont pas eu la chance de voyager. Lorsqu’il revient, nourri de tout ce qu’il a vu, il raconte son histoire et devient griot : « Partir c’est bien mais le plus dangereux c’est de se fuir. Regardez-moi, j’ai passé mon temps à me fuir et je suis celui qui revient aux racines. »
C’est ce qui vous fait dire que l’exil n’est pas un départ mais un retour ?
En effet, tout exil n’est qu’un retour. S’absenter pour mieux découvrir l’énigme de soi. C’est lorsqu’on s’absente des choses qu’elles reprennent leur droit. Obama a eu la chance, ou le malheur, de se fuir, et ce passé, tel un golem, l’a rattrapé.
Écrire vous a permis de vous trouver ?
L’écriture a été le chemin vers moi-même. J’ai eu une enfance particulière où l’on n’a pas cessé de me passer aux autres, de m’offrir, de me faire partir et par l’écriture, j’ai retrouvé les traces. En approfondissant l’énigme de soi, l’écriture ramène vers soi. Là, on rencontre l’autre parce qu’on est obligé de briser ce moi qui est fait d’apparences.
La trajectoire en boucle du personnage principal donne à penser que vous avez fait la paix avec cette identité meurtrière qui était la vôtre…
Complètement, une identité multiple, éclatée. J’ai peut-être fait ce qu’on dit dans la tradition juive : on y parle du visage au pluriel. L’être accompli est celui qui a retrouvé la voie de la réconciliation avec ses visages multiples pour retrouver la strate première. L’expérience de ma vie n’a été qu’un chemin spirituel qui m’a permis de rassembler ce qui était épars en moi.
Ce chemin spirituel se trouve dans l’animisme ?
Oui, je pense que c’est la plus belle des philosophies. D’ailleurs si je peux aujourd’hui enseigner la philosophie grecque c’est parce que je me nourris d’animisme. Personne ne trouvera que le Shintoïsme est quelque chose de primitif ou de barbare. Personne ne dira cela de la poésie de Jaccottet, qui est pourtant le premier des animistes en recherchant le dieu perdu dans l’herbe. Et c’est cela que j’ai passé mon temps à rechercher et qui me fait peut-être vivre.
Cela veut dire que vous avez réussi à retrouver des traces d’Afrique en vous, même en vivant loin d’elle, en France ?
Non seulement l’Afrique qui est un continent mais aussi ce lieu où s’origine l’humain. Nous venons tous de ce continent-là et c’est l’humain que j’ai retrouvé à travers les traces d’une terre qui m’a portée la première.
Quel rapport avez-vous avec l’Afrique aujourd’hui ?
Un très bon. Longtemps j’ai entretenu un rapport d’éloignement, d’absence de refus et parfois même de honte. Aujourd’hui je revendique cette Afrique comme on revendique sa salive, son sang, ses larmes. Comme on revendique son nom.
Pour qui avez-vous fait se livre ? On écrit pour soi, pour les autres ?
On écrit. Tout simplement. Écrire est pour moi une nécessité, quasiment de l’ordre du rituel. Comme les moniales se lèvent le matin pour chanter matines, je suis debout à quatre heure moins le quart pour écrire, tous les jours. Je ne me pose pas la question. J’écris parce que c’est ainsi. J’ai écrit un roman intitulé Le Cri que tu pousses ne réveillera personne. J’essaie de pousser le cri humain qui est en moi mais je ne vise personne. Si j’entends déjà ma propre voix, c’est déjà un début. Ce pas, comme dira le poète, est le suivant.
Dans Nous enfants de la tradition, vous étiez plus engagé que cela. Vous n’écriviez pas seulement pour vous mais leviez le voile sur un pan de choses que les gens ignorent. Je la voulais lointaine, qui en est la continuité, est-il plus intime ?
Toute écriture est un engagement. Écrire c’est prendre part à la vie du monde, c’est dire me voici au monde et reconnaître sa juste place dans ce que l’on fait dans ce monde. Nous enfants de la tradition a été un voile levé sur ma propre vie, sur une douleur que je vivais et que je n’avais jamais pu partager avec qui que ce soit. Et en me levant, tel un moine scribe nostalgique, j’ai écrit, poussé un cri sur la feuille en disant voici ma douleur. Je n’ai rien fait de plus. Mais lorsque vous êtes vrai dans ce que vous écrivez, d’autres peuvent boire à la grande ourse, participer à cette douleur et se reconnaître en elle. C’est cela que vous avez entendu.
Vous évoquez des figures tutélaires dans votre dernier roman : Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy. En quoi comptent-ils encore pour vous ?
Ces deux personnes ont été les premières à ouvrir les paupières de mon oreille, les premiers à inscrire la graine qui a fécondé ce qu’on appelle penser en moi. Ils m’ont appelé à participer à la pensée en train de se construire, à construire une humanité possible, un corps mystique possible et je reste aujourd’hui absolument admiratif et reconnaissant de ce geste qu’ils ont permis de faire.
Comment les avoir côtoyés nourrit-il votre pratique d’enseignant ?
Les premières rencontres transforment les êtres. À jamais, je demeure marqué par ces penseurs, philosophes. Ils étaient comme Emmanuel Kant. J’ai tendance quand je suis devant des étudiants à parler du “professeur Kant”. Oui, Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe ont été cela, des professeurs, des êtres qui avaient le souci de la transmission.
« Écrire est une tentative de posséder la vie », dit votre personnage principal. À vous lire on a l’impression qu’on n’en viendra jamais à bout : qu’on n’aura jamais fini d’écrire et jamais fini de se posséder et de se trouver…
Le personnage dit cela. Évidemment on est pris par la vie d’un personnage qu’on est train de camper dans un roman. On le suit dans cette vie et parfois, comme là, il nous échappe. Si j’avais eu à dire personnellement quelque chose en ce sens, je dirais plutôt qu’écrire c’est apprendre à ce déposséder de la vie. Parce que la vie, tout le monde passe son temps à la traquer, à vouloir en faire son affaire. Je pense que le dernier stade de l’être et le stade ultime de l’écriture réside en la dépossession.
Vous me décrivez l’objet du bouddhisme…
De l’animisme très cher (rires).
Pour un lecteur occidental, vos livres ont cette force de la tradition dont ils sont empreints. Certains considèrent à tort, comme Nicolas Sarkozy, que l’Afrique et les Africains n’ont pas d’histoire. Outre la bêtise de ce propos, on a envie de lui répondre qu’ils sont à coup sûr très riches d’une tradition. Cette tradition, poids ou richesse ?
Longtemps je l’ai considérée comme un poids parce que je l’ignorais. Le débat avec le Président est dû à l’auteur de son discours, Henri Guaino. Il est passé à côté de quelque chose car c’est Hégélien comme propos. J’allais dire que l’histoire, de ce point de vue est accessoire car datée. La philosophie même est datée, la religion aussi. Mais si vous remontez la chaine des choses, vous arrivez à temps primitif qui n’a plus de date, qui n’est plus ce temps ordinaire que nous connaissons et qui est le noyau qui restera quand tout aura fichu le camp. Ce temps s’appelle la tradition. Et nous avons la chance d’avoir un continent qui demeure le veilleur de ce noyau qui restera camp tout sera parti. C’est l’Afrique et je m’en glorifie. On serait même avisé, si on avait encore un peu d’humilité de se retourner vers cette Afrique pour retrouver les valeurs, l’essentiel qui ici à disparu. Même ce sens de soi qu’on a perdu ici, on peut le retrouver en Afrique. L’écologie politique est cet animisme qui est de défendre l’humain par-dessus tout. L’animiste devient celui qui plane au-dessus de la vie et comprend sans effort, comme dit le poète, le langage des choses et des plantes muettes. Et là quel bonheur quand on y arrive.
Le jeune immigré de votre livre est interloqué par certaines expressions et par le faible niveau de langue française parlée par ses camarades. Quel regard portez-vous sur les traditions alsaciennes et, plus généralement, sur la manière dont les Français se sont éloignés de leurs traditions au profit, peut-être de la culture ?
C’est quand même la langue française qui parfois va au plus simple en confondant les choses. On en devrait pas appeler cela des traditions. C’est du folklore, des coutumes, des habitudes, des modes de vie. On pourrait dire des traditions. Mais elles n’auront de sens que si elles convergent vers la tradition primordiale, la valeur. On peut récupérer la notion hébraïque de poids, qui est l’or des choses, ce moment où tout ruisselle et où l’homme est un trésor. Si les traditions vont vers la tradition, alors ce folklore vaut d’être sauvé. Mais si elles nous éloignent de La tradition, il va falloir donner des coups de bec et s’en défaire.
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