Impossible amour

Photo de Philippe Chancel

Rencontre avec Arthur Nauzyciel autour d’une Dame aux camélias contant l’impossible idylle d’Alexandre Dumas fils avec une courtisane. Les germes d’un monde façonné par et pour les hommes.

Alexandre Dumas fils donnait voix à une marginale, une prostituée, ce qui était assez nouveau en 1848…

Tout à fait, même au théâtre à l’époque cela n’existe guère. Il a lancé le tournant naturaliste qui a fait que nous sommes descendu de l’Olympe, des princes et princesses pour nous intéresser à des gens du peuple. Dumas crée le scandale, même s’il fait entendre une parole de courtisane, prostituée d’un certain rang social.

Paris était encore un bordel à ciel ouvert. Vous racontez comment la bourgeoisie a fabriqué la prostitution pour son propre usage…
On comprend le contexte par le destin de cette femme ayant une conscience aiguë de sa situation. Elle sait qu’elle ne pourra s’en sortir dans son siècle. Elle n’a pas d’autre choix que de se prostituer ou se marier. Tous les corps de l’état organisent ce contrôle de la marchandisation du corps féminin : les hôpitaux, la police et les ministères fichent ce milieu pour percevoir l’impôt et contrôler la propagation de la syphilis.

Les femmes sont vues comme un simple moyen d’assouvir un désir mais aussi d’affirmer et d’afficher sa masculinité ?
Toute l’identité masculine se construit autour. Les inégalités actuelles naissent là : l’oppression, la possession et la mise à disposition des femmes. Bien sûr, nous saute au yeux la situation présente. Mais mon spectacle était pensé avant l’éclosion de l’affaire Weinstein. La Dame aux camélias ne parle que d’argent, d’assignation sociale et de dette. Les gens qui la reçoivent en miroir du mouvement MeToo l’auraient vue autrement il y a trois ans. Je ne dénonce ni n’actualise rien, je montre simplement comment le XIXe siècle était porteur de graines d’idées éclairant notre époque.

Même si toutes les relations y sont régies par l’argent, c’est aussi une pièce sur l’amour…
Mais il est vérolé dès le départ ! N’attendez pas une grande histoire d’amour car elle raconte comment les sentiments ne peuvent survivre au réel et aux cadres sociaux : Marguerite Gautier meurt jeune, après avoir tenté de croire en l’amour face à un homme qui ne veut que la posséder. Ils se trompent l’un et l’autre de par leurs origines sociales et les images qu’ils projettent. Elle le voit plus idéal, courageux et libre qu’il n’est. Lui veut en faire autre chose qu’une courtisane.

Comment votre mise en scène croise-t- elle cinéma et théâtre, orchestrant un dialogue continu entre les deux ?
Étrangement, le cinéma donne plus le sentiment du réel alors qu’il est totalement artificiel. On oscille entre réalité et illusion, veille et sommeil et le cinéma nous fait douter du plateau. Sont-ils les mêmes acteurs et personnages ? Le temps est-il identique ? L’image filmée crée un trouble plus grand qui élargit la scène en jouant avec l’espace et la temporalité.


Au Théâtre national de Strasbourg, du 28 mars au 4 avril
tns.fr

Rencontre avec Arthur Nauzyciel au Centre Emmanuel Mounier (Strasbourg), vendredi 29 mars (20h30)

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