Il était une fois york
Dans un pré dominant la vallée avec vue imprenable sur la forêt vosgienne, les shakespeariens Henri VI et Richard III forment York, duel de clans pour un trône, par la compagnie du Matamore et le Théâtre de la Faveur.
Deux ans après y avoir joué Sauvage*, pièce tirée de L’Homme des bois d’Anton Tchekhov, la dizaine de comédiens réunis autour de Serge Lipszyc poursuit son aventure artistique et humaine. Après la création en salle au printemps, ils reviennent à l’été dans le domaine familial du Guensthal où, depuis 30 ans, les parents du comédien Yann Siptrott développent, en sculpteurs réputés, un lieu conçu comme une œuvre d’art évolutive. York remonte aux sources du mal, à la folie sanguinaire de Richard III qui prend racine dans Henry VI. Quatre heures d’épopée avec entracte, sur fond de guerre des Deux-Roses que les comédiens boutonnent au revers de leur veste : rouge pour les Lancastre, blanche pour les York. Deux clans pour une bataille de succession intestine à la couronne d’Angleterre : « Tous les coups seront permis et rendus, dans une ambiance mafieuse où tout se joue à vue grâce à une mécanique très chorégraphiée, obligeant les comédiens, dans ce décor naturel grandiose, à une présence habitée », assure le metteur en scène.
S’il a monté « ces deux pièces qui s’imbriquent parfaitement » il y a deux décennies, « la réflexion qu’elles proposent sur la manière dont naît le monstre et ceux qui le portent » n’ont pas pris une ride. « Derrière le tyran Richard, qui n’est que le plus intelligent des prédateurs au milieu d’une meute de loups, s’interrogent notre passivité, notre complaisance, notre crédulité ou encore notre cupidité face aux régimes forts et autoritaires. » Il « nettoie » sa mise en scène d’alors, avec une nouvelle équipe d’acteurs, « à la recherche du signe minimum ». Quelques accessoires (un trône, une table, dix chaises et une couronne) sur un plateau en bois monté en haut d’un pré. L’adaptation au grand air de la création dans laquelle la lumière sculptait l’espace saturé de fumée se radicalise dans l’épure. Une sorte de « retour à l’essentiel » pour Serge Lipszyc qui, avec le temps, « a l’impression de ne plus avoir besoin de grand-chose pour faire du théâtre. Mais cette simplicité est le plus dur car elle laisse sans filet, sans artifices. Elle envoie les comédiens dans des zones de jeu qui les déplacent et poussent leurs limites. » Portant beau des costumes revisitant le battledress – « entre gitanerie et mafia calabraise » s’amuse Yann Siptrott qui interprète Richard –, les personnages de cette fresque vengeresse aux atours tarantinesques retourneront à la poussière « en prenant leur temps, dans des images incroyables, sur une langue passant du trivial de Henry VI au lyrisme épique de Richard III. »
Dans la Vallée de la Faveur, Guensthal n°3 (Windstein), du 12 juin au 4 juillet (samedis et dimanches, à 16h)
compagniedumatamore.fr
Au Point d’eau (Ostwald), samedi 25 septembre
lepointdeau.com
À La Salle Europe (Colmar), du 4 au 9 octobre
salle-europe.colmar.fr
* Lire Back in the woods dans Poly n°221 ou sur poly.fr