I Shot Andy Warhol

Photo de Fred Cornet

Sonya Oster, leader de la Calamity Jane Cie, reprend son Paranoid factory project au Taps Gare. Un biopic théâtral terriblement moderne sur Valérie Solanas, icône fulgurante du féminisme des sixties, connue pour ses trois coups de feu sur Warhol.

Une toxicomane de 52 ans, se prostituant pour survivre, meurt d’une pneumonie dans un Hôtel de San Francisco. Ainsi débute cette bio-fiction : en 1988, Valérie Jean Solanas a déjà sombré dans l’oubli. Si l’histoire retiendra ses trois coups de feu sur Warhol en 1968, à sa sortie de la célébrissime Factory, Paranoid factory project redonne vie, dans un flashback dense et intense, à « une féministe radicale et engagée, reflet de cette époque tumultueuse de luttes aux États-Unis, dans les années 1960 et 1970 », explique Sonya Oster. La metteuse en scène est tombée sous le charme de La Faculté des rêves, roman déstructuré – entrelaçant fragments biographiques, pensées rêvées, comptes rendus psychiatriques et interrogatoires – de la suédoise Sara Stridsberg[1. La faculté des rêves, paru chez Stock, 2009 (22,50 €)]. S’y retrouvent de larges extraits du Scum Manifesto[2. Scum Manifesto, éditions Mille et une nuits, 2005 (9 €)] de Solanas, appel à la lutte violente contre la domination masculine en faveur de la libération des femmes. « Solanas est l’outsider ténébreuse du MLF, l’auteure d’un manifeste révolutionnaire à plus d’un titre, une rétive à tout ordre établi. »

Fidèle à son théâtre résolument contemporain, le spectacle mêle musique live avec le groupe King’s Queer – dont le style évolue entre electro, Velvet Underground et icônes disco-pop –, cut up, et VJing projeté sur tout ou partie du plateau, de ses trois écrans ou de l’immense canapé en skaï blanc trônant au milieu. Huit tableaux s’y succèdent, retraçant de 1945 aux années 1980 les étapes de la vie de Solanas. En toile de fond, les grands événements de l’Histoire. Quand les Américains lâchent la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki, Solanas, pas encore 10 ans, est battue par son grand-père, violée par son père. L’Amérique sombre dans la violence au Vietnam mais aussi à Memphis où Martin Luther King est assassiné, une jeune auteure de théâtre n’exprime aucun regrets lors de son procès, jugée pour avoir gravement blessé Andy Warhol avec un pistolet. Le pape du pop lui avait volé sa pièce, Up your ass. « Internée en psychiatrie, elle est démolie par les électrochocs », raconte Sonya. « Mon but est de ne pas la victimiser mais il a été plus commode de la classer comme folle » Sophie Thomann qui interprète Solanas rajoute : « Le versant économique dénonçant une certaine aliénation du travail de Scum est souvent tu. N’oublions pas, aussi, qu’elle était lesbienne, ce qui était encore un délit. De quoi facilement vous enfermer ! » Se trouvent questionnés la marchandisation du corps, le lien entre l’art et le féminisme mais aussi une certaine idée de la radicalité et de la société.

À Strasbourg, au Taps Gare, du 10 au 15 avril
03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu
http://calamityjane.cie.free.fr/
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