I comme icare
Christophe Lebold, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, amoureux de la littérature américaine comme de la musique de Lou Reed, Nick Cave ou Bob Dylan, est l’auteur d’un pavé érudit et personnel sur le Canadien errant, Leonard Cohen : l’Homme qui voyait tomber les anges.
Intarissable, Christophe Lebold a écrit 720 pages sur le songwriter voyageur, mais aurait aisément pu livrer le double, le triple… « Je voulais faire un ouvrage de référence », nous dit-il, « une biographie complète où l’on retrouve son œuvre littéraire et toute sa discographie. » Même les albums les plus faibles, notamment Death of a Ladies’ man, disque produit de manière « grotesque » (selon Cohen himself) par un Phil Spector mégalo, tyrannique et envahissant : « Leonard Cohen est une voix majeure du rock, de la littérature et de la poésie internationale. Il a réinventé la figure du troubadour ou du poète religieux… et a su leur donner une résonance profonde. Il a remis le mot Hallelujah dans la bouche des gens ! Ses œuvres mineures sont intéressantes au regard des plus importantes : il a par exemple dû passer par Death of a Ladies’ man pour connaître sa renaissance dans les années 1980 », prévient celui qui s’avoue tout de même séduit par le mélange « entre l’exubérance de Spector et l’intériorité de Cohen ». Au long de son livre, Christophe Lebold tente de cerner celui qui « transforme le noir en lumière et ce qui est lourd en matière légère, créant des paysages sonores métaphysiques » en jouant entre la chaleur de sa voix et la froideur de certains arrangements, comme des lames de rasoir.
On ne s’arrête pas aux dates et aux faits : c’est également la bio de l’existence intérieure de l’auteur de Bird on a Wire, « dévoilant une vie branchée sur l’invisible, les anges, ce qui se joue en sous-main dans les relations entre un homme et une femme, un homme et un dieu souvent absent, un homme et le verbe ». L’ouvrage propose plusieurs pistes, des points d’entrée, des manières d’aborder un personnage paradoxal, à la fois « grand prêtre juif et crooner séducteur, poète et rock star, Casanova et moine reclus dans les monastères bouddhistes, plaisantin ironique et chanteur mélancolique ». L’universitaire le voit notamment – et essentiellement – comme un « prophète de la gravité, qui en fait le centre de son geste artistique ». Selon lui, ce petit-fils de rabbin à la voix grave, fortement dépressif, a « une disposition fondamentale pour la profondeur. C’est un visionnaire qui voit la défaite de l’homme, un mystique qui perçoit dans nos chutes une élévation cachée. » Pour résumer « en une formule l’évangile selon saint Leonard : les choses, par nature, sont graves et nous sommes très précairement suspendus entre gravité et grâce. Notre destin à tous : tomber de haut ; notre saint-patron : Icare », écrit-il en préambule.
Photo : Claude Gassian / collection Dominique Boile
Leonard Cohen : l’Homme qui voyait tomber les anges, édité par Camion Blanc (36 €) – www.camionblanc.com