Humaines turpitudes

Couple d’amoureux II, 1918 (Visages, feuille 5) © VG Bild-Kunst, Bonn 2019, Foto: Axel Killian

Le Museum für Neue Kunst fribourgeois célèbre Max Beckmann avec La collection Classen, gravures et lithographies des années 1910 / 1920.

Grand nom de la peinture allemande, Max Beckmann est resté toute sa vie en retrait des mouvements artistiques de son temps. La cinquantaine d’œuvres graphiques réunies dans cette exposition du Museum für Neue Kunst de Fribourg-en-Brisgau sont de petite taille, invitant à l’observation attentive. Avec leurs traits, leurs jeux de pleins et de vides, les gravures (notamment sur bois) et lithographies font la part belle à son style expressionniste. En témoignent son Autoportrait de 1914, au regard préoccupé ou celui de 1922, yeux mi-clos et oreilles basses, encore plus dur, dont on peine à reconnaître le modèle. L’inquiétude peuple ses créations à l’instar de celle de la foule amassée à la Déclaration de guerre, lisant anxieusement les journaux. Seuls les enfants y jouent, en 1918, au cours de joutes enlevées et inventives propres à leur innocence. Pour les adultes, La Rue (l’enfer) témoigne en 1919 des dégâts profonds du premier conflit mondial. Un amputé en fauteuil exhibe ses moignons tandis que deux passants portent un vieil homme ayant perdu conscience. Le capharnaüm de cette composition se complète d’un aveugle et d’artistes faisant l’aumône à côté de gueules cassées.

Beckmann saisit les déboires et les vicissitudes de l’Homme, la cohabitation des extrêmes. Ses scènes de la vie quotidienne comme Paysage avec montgolfière (1918) rappellent Munch et Van Gogh, les arbres, le soleil et le ballon irradiant de halos dans une vision faisant vaciller la réalité. Les années vingt qu’il passe à Francfort-sur-le-Main sembles plus oisives. L’artiste y croque les fêtes guindées avec humour, se moque des beuveries chics au Champagne (Il y a de l’intelligence ici, 1921). Les épaules se dénudent sous les robes de soirée à côté des petites gens en livrées. Il reste des traces d’angoisse et de danger comme cette Nuit en ville (1920) dans laquelle un personnage hurle derrière une fenêtre du premier étage d’un immeuble. Jeu sexuel ? Femme abusée ou prostituée violentée ? Nul ne sait. Le désir déborde des Amants II (1918) se bécotant et pelotant, à moitié nus devant les regards ébahis. Les filles de joie sont au café, fort peu vêtues, les hommes ivres trinquant quand ils ne gisent de tout leur saoul à leurs pieds (Chanson à boire) tandis qu’Un matin en banlieue, la tristesse gagne les noctambules, bien moins aisés, au petit jour. Se découvrent aussi de surprenantes scènes de fête foraine, côté coulisses éclairées à la bougie avec ce mélange de détente et de costumes extravagants, mais aussi côté public avec les sensations fortes des manèges et des tours. Les Funambules défient la mort sur une jambe, la tête recouverte d’un tissu. Les visages se font volontiers anguleux, ciselés dans une géométrie donnant à Une Contorsionniste (1921), au cou ceint d’un serpent, des airs d’Apache. La vie est un voyage.


À l’Augustinermuseum – Maison de la collection graphique (Fribourg-en-Brisgau), jusqu’au 16 février 2020
freiburg.de

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