Échappé du collectif Columbine, le rappeur Lujipeka s’est lancé en solo l’an dernier avec deux EP flamboyants. Le premier album est prévu à l’automne, toujours en dehors des codes.
Barbe clairsemée et cascade de cheveux longs. Avec son look de skateur tout droit sorti d’un film de Gus Van Sant, Lujipeka s’est fait connaître au sein du collectif rap rennais Columbine, avant de créer la surprise en 2020, en dégainant d’un coup deux EP en solo, intitulés P.E.K.A. et L.U.J.I. Le premier naît d’un défi qu’il se lance au début du premier confinement : sortir cinq morceaux en dix jours chrono. « Tous les soirs, je montrais aux gens dans des live Instagram les instrus choisies et les textes que j’avais commencés », raconte le jeune homme de 25 ans. « L’idée était aussi de créer un lien avec ceux qui me suivent et de démythifier la création musicale en exposant au public ma méthode de travail. C’était intense et ça m’a fait du bien d’avoir l’occasion de fonctionner comme ça, dans une espèce d’urgence et de spontanéité. » Le second opus – qu’il a pris le temps de peaufiner, lui – entre directement en deuxième position des ventes la semaine de sa sortie, juste derrière le mastodonte français du genre, aka Ninho. Lujipeka est pourtant un cas à part dans le milieu. Nulle rime facile chez lui, aucun refrain opportuniste, pas plus que de démonstration de force ni d’affirmation musclée de sa virilité. C’est même tout le contraire. « Moi à la base j’suis un looser / à 14 ans j’voulais mourir », raconte l’ancien étudiant en audiovisuel sur Éclipse – single composé d’un unique couplet étiré sur toute sa longueur, que l’artiste a dévoilé il y a quelques semaines dans un clip fan- tasmagorique à la Blade Runner 2049 pour annoncer l’arrivée d’un album à l’automne. Souvent comparé à Orelsan (parce que provincial comme lui… et blanc évidemment !), celui qui rendait les filles hystériques dans les concerts de Columbine continue de bousculer l’imagerie hip-hop avec des textes introspectifs et autocritiques, tantôt désinvoltes tantôt désabusés, à l’instar de toute une génération.
Dans les pas de renaud
Pas vraiment du rap, pas vraiment de la pop, pas vraiment de la chanson. Lujipeka est clairement de ceux qui font le pont avec la variet’ sans rechigner. « J’aime le fait que ma musique ne soit pas facile à genrer », assume-t-il. « Le rap, c’est l’influence première. Je suis tombé dedans étant petit [rires]. Je devais avoir 8 ou 9 ans, j’étais à l’école primaire, et j’écoutais l’album Panthéon de Booba en boucle. » À l’adolescence, il se tourne vers le rap expérimental et outrancier de la clique américaine Odd Future, menée par Tyler The Creator et Frank Ocean, découvre l’autotune sur le mythique 808s and Heartbreak de Kanye West… tout en kiffant les guitares de Nirvana et en butinant sans com- plexe du côté de la French touch des Daft Punk, Justice et autres artistes signés chez Ed Banger Records. « Et puis, encore avant tout cela, il y a eu Renaud, que mes parents écoutaient », tient-il à rajouter. « Tout petit, à 3 ou 4 ans j’étais totalement fan, je me levais même en fredonnant ses chansons, comme le raconte encore ma mère. Au fond, je considère Renaud comme le premier rappeur français : le regard acerbe qu’il portait sur la société, le choix revendi- qué de la langue de la rue, et puis cette façon de jouer sur les mots, sur leurs sonorités… »
Le spleen de la société de consommation
Une critique sociale que le jeune Rennais aime lui aussi à cultiver, le ton blasé du millenial en plus. « J’ai payé mes impôts et j’ai pris mes médocs / Putain d’époque / Accroche-toi si t’es pas dans les codes / Putain d’époque / […] J’coupe mes réseaux, et j’ai plus aucun pote. » Oscillant entre humour cynique et discours splénétique sur la société de consommation – tendance Houellebecq, mais en version post-ado attablé au kebab du coin – le single Putain d’époque jette un regard acide sur les travers du néolibéralisme à l’heure des réseaux sociaux. « Tout l’monde est beau, la vie est belle / Le Truman Show sur toutes les chaînes / […] Y a l’paradis qu’sur la marelle / L’enfer est sous mes TN / Martin Luther avait un rêve / Vaut mieux pas qu’il s’réveille ». Le clip, un petit bijou signé du maître du cinéma d’horreur Olivier Afonso, ne manque pas de second degré. On comprend que le morceau ait été choisi comme générique de fin pour la saison 2021 de Quotidien, l’émission à succès de Yann Barthès. C’est caustique à souhait, et percutant en diable ! « J’prie pour qu’l’banquier me laisse m’endetter / Popcorn et comédies racistes au ciné / Finalement c’est une grosse grippe qu’a tout décimé ».
Aux Trinitaires (Metz), mercredi 29 septembre
citemusicale-metz.fr
Au Moloco (Audincourt), samedi 9 octobre
lemoloco.com