Histoires romaines
L’épopée des Aigles de Rome se poursuit avec un cinquième livre où Enrico Marini entraîne son lecteur au cœur de la bataille de Teutobourg. Précis, pointu, affûté.
« Quintili Vare, legiones redde » (Varus, rend moi mes légions). Telle est la réaction d’Auguste rapportée par Suétone lorsque l’Empereur romain apprend la dérouillée prise par ses armées face à une alliance de tribus germaines commandées par le chef chérusque Arminius à la bataille de Teutobourg, en l’An 9. Cette journée terrible (et celles qui la précèdent) forme(nt) le cinquième opus des Aigles de Rome, une des séries les plus excitantes de la BD grand public aujourd’hui : avec ce nouveau volume, Enrico Marini parachève la mutation qu’il a fait subir à l’Antiquité dans le Neuvième Art. Dépassés, les albums d’Alix qui ont bercé notre enfance… L’auteur italien se place avec classe dans le camp de Rome, série dark et brillante réalisée par HBO – une des références du genre – et de Gladiator de Ridley Scott, film débutant par un combat sur le Limes qui a visiblement servi de matrice à plusieurs de ses cadrages. Ce passionné d’Histoire a puisé aux meilleures sources – l’Histoire romaine de Velleius Paterculus au premier chef, mais aussi les Annales de Tacite, les Tristes d’Ovide, etc. – pour livrer un récit très documenté. Il y confronte « l’histoire d’une amitié, celle de deux personnages qui ont grandi ensemble et se retrouvent ennemis sur le champ de bataille » et la grande Histoire. C’est dans cette tension entre une narration très maîtrisée des destinées individuelles de nos héros (le binôme formé par personnage historique Arminius, le « Vercingétorix allemand » et celui, inventé, de Marcus, en tête) et le rendu brillantissime des combats – avec une double page panoramique à grand spectacle d’anthologie – que réside la réussite de cet album, le plus abouti de la saga. Et le public suit : ils étaient ainsi nombreux à attendre l’auteur lors du Festival Bédéciné d’Illzach où nous avons rencontré Enrico Marini. Si l’on déplorait une certaine rudesse du trait dans le premier volume, son style atteint désormais sa pleine expression se rapprochant parfois du meilleur de Jean Giraud dans Blueberry ou de la maestria graphique de Jordi Bernet. On y trouve des clins d’œil historiques qu’ils soient centraux pour l’action (comme le « masque porté par Lépide dans l’album, un des rares vestiges retrouvés devenu un des symboles de la bataille en Allemagne sur lesquels les archéologues s’interrogent néanmoins ; vu l’angle de vision qu’il autorise, beaucoup supposent qu’il était un élément d’apparat ») ou de pur détail… Les cases en fourmillent comme cette rune Ōthalan (qui plus tard servirait d’emblème à la sinistre Division SS de montagne Prinz Eugen) représentée sur un bouclier germain. Bref, c’est magnifique – avec des rendus aquarellés très réussis – aussi précis historiquement que possible et palpitant sur le plan de l’intrigue. What else ?