Avec Histoire(s) de France, Amine Adjina questionne la fabrique du récit national et poursuit son travail d’écriture à destination de la jeunesse.
Ils sont trois : la belle rebelle Camille, flanquée d’Arthur et Ibrahim – deux collégiens dont l’amitié était mise à mal par le racisme et le repli identitaire de leurs familles dans le précédent spectacle d’Amine Adjina, en 2018. Ensemble, ils doivent se mettre d’accord et choisir, à la demande de leur professeure, un épisode marquant de l’Histoire de France pour le rejouer devant la classe. De la Préhistoire à la Coupe du monde 1998, en passant par la bataille d’Alésia et la Révolution, les comédiens, avec leurs mots d’ados – entre humour décalé et impertinence –, revisitent chacun à leur façon le grand roman national, se déchirent sur le récit fait du passé de leur pays. Quelle place pour les femmes quand il est écrit par des hommes, interroge Camille (jouée par Émilie Prévosteau), qui se propose d’incarner un Vercingétorix à forte poitrine et longue épée ? Comment intégrer les immigrés ou les Français issus de l’immigration dans une épopée narrée par les colonisateurs et instrumentalisée par l’extrême-droite pour brandir une soi-disant pureté des origines ? En s’inventant un personnage de druide en djellaba qui psalmodie en arabe, Ibrahim se joue de l’image faussement uniforme de Gaulois agissant comme un seul peuple uni sur un territoire qui serait la France historique. « Parce que les Gaulois, c’est nous, les sauvages indisciplinés, les barbares », répond le jeune homme interprété par Mathias Bentahar à son enseignante quand elle lui fait remarquer les libertés prises avec la réalité. « Plus je découvre l’histoire des Gaulois, plus je découvre que c’est la nôtre », celle de « toutes les personnes qui ne sont pas dans la règle », qui « ne ressemblent pas à l’image d’un bon Français ».
« L’Histoire, ce sont des visions qui s’affrontent. Ce n’est pas la succession objective de faits bruts et incontestables que certains voudraient nous faire croire. Voilà pourquoi son enseignement doit se décliner au pluriel », soutient Amine Adjina. « Ce qu’on nous apprend à l’école est un récit narré du point de vue du pouvoir (celui des empires, des rois, des conquêtes, etc.), mais quid du point de vue des femmes, des colonisés, des minorités, des ouvriers… ? », regrette l’auteur né de parents algériens. Et si, à y regarder de plus près, cette nation dont on entend tant parler était le fruit d’une lente et patiente construction, celle de peuples hétérogènes vivant les uns à côté des autres et qui, au fil des siècles, sont devenus une communauté ? Les retours de la part des scolaires et des enseignants venus assister aux représentations, eux, sont très positifs. « C’est comme si, avec la pièce, il y avait une permission qui était prise pour ouvrir le débat dans les classes. »
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy) du 26 au 28 janvier (dès 10 ans)
theatre-manufacture.fr