Here lies corneille
Pas à un paradoxe près, Julia Vidit met en scène, avec sa compagnie Java Vérité, Le Menteur de Corneille. Entre faste et paraître, une réflexion sur la place des femmes et les carcans sociétaux.
Passée par le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris après avoir grandi à Metz, Julia Vidit a débuté l’histoire de sa compagnie avec Pierre Desproges, Thomas Bernhard et Ivan Viripaev. La voir cheminer avec Pierre Corneille n’est qu’une demi surprise tant elle recherche « des illusions théâtrales propices à donner le vertige à la réalité ». Dans cette comédie de moeurs d’un XVIIe siècle tout à fait baroque, Dorante gagne Paris avec son valet Cliton. Pour s’y faire une place digne de ses ambitions, il se présente comme un glorieux et vaillant chevalier en Allemagne. Loin, très loin de l’étudiant de Poitiers qu’il est. Maniant éloquence et art du charme, il séduit sans vergogne Clarisse, qu’il prend pour sa cousine Lucrèce. Le beau parleur s’invente même organisateur de bal avec collation, musique et filles conquises. Mais, dans un décor rougeoyant avec des murs de miroirs, rien ne peut véritablement se dissimuler…
Quiproquo qui croyait prendre
Dans leurs costumes modernes aux couleurs fluos et flashys – baskets aux pieds, corsets satinés sur pantacourts et vestes luisantes – le grand manipulateur multiplie les intrigues. Son audace fait d’un ami son rival à cause de sa forfanterie. L’étau se ressert un peu plus, en même temps que se referme le palais des glaces où se reflètent en double démultipliés les intrigants, lorsque son père le promet en mariage à celui de Clarisse. Le bougre s’inventera rien moins qu’une femme enceinte de six mois pour y échapper ! Impossible d’arrêter la roue entraînante des menteries. Pourtant Julia Vidit ne juge pas. Ce Dorante joue dans une cour qui n’est pas celle de son rang, use des armes qu’il possède : de l’aplomb, de l’audace et de la répartie. « Peut-être n’a-t-il d’autre choix que celui d’être amoral et individualiste ? Il ment, oui, mais pour tenter de rester l’acteur de sa vie. » La plus belle trouvaille de la metteuse en scène n’est pas dans ce miroir tendu à notre époque, ses bassesses, jeux de pouvoir et écrans où se réfléchissent les projections de nos vies fantasmées. Mais dans la fusion des rôles de Lucrèce et de sa suivante, faisant d’elle un double féminin du menteur. Le statut des femmes et leur sort réduit à l’obéissance de “bonnes à marier” se voit battu en brèche. Elles sont fortes et malines, belles et moins soumises aux galants qu’il n’y paraît.
A La Comète (Châlons-en-Champagne), mardi 4 décembre
Au Carreau (Forbach), vendredi 7 décembre (dès 14 ans, en français surtitré en allemand)