Les Belges Josse De Pauw (texte et mise en scène) et Jan Kuijken (composition musicale) reviennent au Maillon avec leur dernière création De Gehangenen / Les Pendus. Interview croisée.
Comment est née l’idée de cet hommage aux poètes voyants et rebelles comme Villon, à ceux qui résistent à l’ordre établi et à l’obscurantisme de la pensée imposée par les puissants et l’Église ?
Josse De Pauw : L’idée du spectacle a germé à partir du désir de Jan Kuijken de créer une composition pour orchestre à cordes, composition que j’ai agrémentée d’un support visuel. Trois chanteurs et deux acteurs sont suspendus au-dessus de l’orchestre. La fragilité des instruments, le raffinement des icônes de la civilisation occidentale d’un côté et la brutalité des exécutions, la lourdeur des corps suspendus dans l’air de l’autre, voilà autant de contrastes qui nous ont inspirés.
Jan Kuijken : Cela faisait effectivement longtemps que j’avais envie d’écrire une composition pour orchestre à cordes. Étant violoncelliste, ce sont les instruments que je connais le mieux, et les possibilités sonores qu’ils offrent me captivent.
Quelles ont été vos sources littéraires, historiques, musicales, scientifiques… ? Qui sont ces Pendus ?
JDP : Nous avons décidé de ne faire aucune allusion historique. De plus, ce spectacle doit aussi parler d’aujourd’hui. De la crainte perpétuelle du pouvoir à poser des questions, à être curieux, à s’intéresser à tout ce qui stimule les scientifiques mais aussi les artistes. Les Pendus sont ces personnes qui ont posé des questions à voix haute mais, pour certains, au mauvais moment.
JK : L’idée d’ouvrir le spectacle à toutes les époques est venue assez tôt. Cela me passionnait aussi d’un point de vue musical. J’ai cherché une façon de placer côte à côte des structures et langages musicaux plus anciens et plus récents… mais sans pour autant que l’ensemble ne devienne un simple collage des divers éléments. Et puis, j’aime la combinaison de cette pureté classique avec un monde sonore plus moderne et plus rêche.
Le public du Maillon a déjà eu l’occasion de découvrir votre travail commun dans L’Âme des termites. Quelles évolutions au « concert dramatique » nous réservez-vous avec cette nouvelle création ?
JDP : Pour L’Âme des termites, nous avons mis le matériel en commun dès le début. Pour Les Pendus, en revanche, nous avons créé une structure à deux volets, avec d’un côté la musique et de l’autre le texte. Cela dit, nous nous réunissions pour voir où nous en étions et pour accorder nos violons.
JK : L’Âme des termites donnait beaucoup d’espace à l’improvisation au sein d’une structure bien établie, cadrant à merveille avec le thème du spectacle : l’opposition entre l’ordre et le chaos. Le spectacle des Pendus est plus strict au niveau de la forme, car l’importance de l’orchestre et les répétitions l’exigeaient. J’y utilise des structures musicales plus imposantes, plus longues.
Comment la partition de l’un fait écho dans les mots de l’autre ? Quel langage inventez-vous, à quatre mains, dans cette confrontation du verbe et du son ?
JDP : J’ai écrit un texte pour acteurs et chanteurs. De son côté, Jan devait aussi composer une musique pour les chanteurs. C’est là où nous avons décidé de faire traduire en latin tout ce que j’avais imaginé comme texte. C’était la langue du pouvoir, de l’Église, mais aussi le langage utilisé par la science. Bref la première langue mondiale, qui offrait aussi plus de possibilités pour Jan en matière de composition, avec des sons plus ouverts. Les acteurs jouent en néerlandais (avec surtitrage), ce qui banalise leur présence ensemble par rapport au latin, grave et distingué.
JK : J’adore quand les chanteurs sont intelligibles. J’aime aussi respecter la cadence du texte. Je voulais traduire les accents terminologiques en accents mélodiques. Les traductions latines des textes de Josse ont leur propre structure grammaticale et souvent, leur forme et leur style étaient très différents du texte de base en néerlandais. Cela a été un véritable travail d’assemblage pour fusionner tous ces éléments et le thème de l’œuvre dans une structure musicale. C’était un peu comme si vous travailliez en même temps dans l’infiniment petit et l’infiniment grand. Je me sentais souvent comme une sorte de rhétoriqueur…
Vous êtes en pleine création mais les grandes lignes de la mise en scène sont posées : deux acteurs et trois chanteurs seront suspendus au-dessus d’un orchestre de 18 musiciens. Le rapport de force semble déséquilibré. C’est un moyen de réinventer la narration, le dialogue entre chants, paroles et notes ?
JDP : Je pense que les chanteurs et les acteurs existeront en tant qu’individus dans le contexte de l’œuvre, alors que l’orchestre sera perçu comme un tout avec, d’une part, une traduction plus abstraite des émotions personnelles et, d’autre part, la création d’un cadre émotionnel.
JK : Tous les éléments sont là, mais la forme a été imaginée bien avant. L’heure est venue de tout harmoniser, le rythme, le timbre et la manière d’articuler les choses. Si nous réussissons à faire naître un beau souffle sous-jacent au sein de l’ensemble, j’espère qu’alors ce genre de questions relatives aux équilibres ou aux structures narratives ne se posera plus.
03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com
À Luxembourg, au Grand Théâtre de Luxembourg, mercredi 25 mai dans le cadre du festival Passages
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