Gym tonic avec Olivier Martin-Salvan
Le génial Olivier Martin-Salvan fait de l’anti-héros d’Alfred Jarry un Ubu et Davina en justaucorps dézinguant tout sur son passage, dans une arène au centre du public.
Dans le rôle titre d’Ubu sur la butte – version raccourcie d’Ubu Roi écrite pour le théâtre de marionnettes du guignol –, Olivier Martin-Salvan déboule tel « un taureau tonique de 130 kg, hyper poilu en fuseau criard, courant sur un tapis à 80 cm du public ». L’ancien rugbyman de haut niveau, qui venait de lire W ou le souvenir d’enfance1, a l’intuition de placer le récit dans une salle de sport, se remémorant le langage de ses entraineurs parlant de “guerre de tranchée” et de “patrie en danger” pour un simple match à 15 ! Yvan Clédat et Coco Petitpierre2 inventent pour lui des modules et des tapis de gym, des costumes de GRS en lycra hyper moulants aux couleurs de drapeaux nationaux dans un mini stade de six mètres sur six où les spectateurs sont disposés au plus près, tout autour. « Je n’aimais pas trop Ubu » confie le comédien. « Mais cette version condensée est imparable : je tue le premier roi au bout de 20 lignes à grands coups de frite en mousse et nous faisons la guerre trois scènes plus loin. Les répliques phares y sont regroupées avec des « La justice c’est moi » tellement cash, que le public voit tout de suite des gens comme Berlusconi ou les déclarations incroyables de bêtise d’un Trump. » La critique caustique de l’uniformisation des corps et du décervelage des salles de sport ne sont que quelques exemples de l’humour sans limites de Jarry. « Il faut se mettre au niveau, à jouer ses pires invectives et inventions à fond ! » Ainsi se donnent 10 minutes non stop de cours d’aérobic épuisant. « Ça sent l’huile de massage, la sueur et les pieds de salle des fêtes. Et au milieu, cet horrible Ubu invective et recadre les moindres écarts ou manques d’enthousiasme » des personnages qui l’entourent, n’hésitant pas à « tuer les magistrats en les sodomisant – pour de faux bien sûr ! Les réactions du public sont diverses, d’autant que le dispositif fait qu’ils se voient et se jaugent, en permanence. » Cette outrance langagière et concrète ne masque pas la dénonciation d’une soif de pouvoir. Olivier, jeune papa, rigole avec sérieux de notre responsabilité collective : « Il faut faire attention à ne pas éduquer des monstres comme Ubu qui est un gros enfant mal élevé. Si tu merdes ton éducation, tu fais un tyran du quotidien qui peut devenir un Ministre se goinfrant sur les comptes de la république ! » Le Palotin Giron, sorte de domestique « déguisé en nègre », est une provocation de l’auteur qui était un anti-esclavagiste reconnu. Jouer cela aujourd’hui n’est guère plus évident. « Il nous oblige à y aller franco pour ouvrir ces espaces de gène tous azimuts. » La Mère Ubu est ainsi plus que libre de sa sexualité, avide de pouvoir : elle se sert du Palotin Giron – encore lui – comme d’un sex-toy. « Elle jouit extrêmement fort, ce qui met mal à l’aise les scolaires qui se cachent les yeux, fait que les profs les regardent se cacher les yeux… Mais on ne peut l’édulcorer car il pointe du doigt des choses importantes. » Merdre !
Au Nouveau Relax (Chaumont), mardi 28 septembre
lenouveaurelax.fr
Au Théâtre du Point du Jour (Lyon, hors-les-murs), du 2 au 5 octobre
pointdujourtheatre.fr
1 Roman de Pérec paru en 1975 qui inventait comme métaphore des camps de concentration l’île de W, dévolue à une dictature sportive déshumanisante
2 Couple d’artistes signant des scénographies et costumes pour des artistes comme Philippe Quesne.