Groupe belge au succès météorique, Glauque sortait en septembre un premier album electro-rap, Les Gens passent, le temps reste. Interview avec son chanteur, Louis Lemage.
Dans Pas le choix, vous rappez « Bientôt j’appellerai mon père et je lui dirai que je l’aime / Sans qu’il se pose de questions / J’viens prendre le beurre, l’épinard, la crémière / La douleur et les félicitations… » À quel point compte le regard de ceux qui vous entourent ?
Dans toute relation, notamment père / fils, il y a un besoin de reconnaissance. On a besoin de s’entourer de gens qui nous valorisent et nous font nous sentir à notre place. Je chéris la saine admiration et la valorisation de l’autre.
Une des caractéristiques de Glauque est de proposer des textes intimes, d’une honnêteté rare, n’hésitant pas à révéler une certaine noirceur. Je pense à Rance, un titre fort sur l’avortement et la décision de ne pas être père…
Il ne faut pas trop réfléchir au regard des autres en écrivant sinon on ne le ferait pas. Mes textes n’ont d’intérêt que dans leur sincérité. Il faut donner de soi, même si c’est sombre, pour que cela résonne chez les autres. Si on gamberge, trop de raisons pour ne pas dire ces choses-là nous assaillent. Je ne veux ni être policé, ni dans le contrôle.
Il y a des récurrences et échos d’un titre à l’autre. Cela vous échappe ou est-ce travaillé dans la constitution d’une cohérence d’album ?
Nos titres existaient d’abord en live. Nous avions plus d’une soixantaine de maquettes plus ou moins abouties, il nous a donc fallu faire des choix difficiles en studio. Ce qui me touche revient parfois d’un titre à l’autre et cela joue dans la cohérence finale, même si le processus de décision a été très difficile pour nous.
Sur Deuil, le morceau final de dix minutes, vous allumez une Lucky et on entend le grain brut de votre voix nue. Comment l’avez-vous enregistré ?
Nous voulions le faire en une seule prise, du coup il m’a fallu le traverser plusieurs fois. Sur celle-ci, j’avais un bon gros glaire dans la gorge, éraillant ma voix, mais ça sonnait bien. Même avec ses défauts, c’était la bonne pour nous. Le studio a été une purge pour moi car je détestais enregistrer nos titres, se dire qu’on les figeait une fois pour toutes me paralysait. Nous venons du live, interprétant tout avec l’énergie et la vérité du moment. Là, il fallait que ça marche sur plusieurs écoutes, sans notre présence ni notre énergie physique. Et c’est très difficile
On se sent mieux
quand c’est accepté
Pas quand on l’est
Pas quand on sait
Pas quand on s’aime
Quand on accepte
qu’on est tous seuls
Glauque, Deuil
« Je suis la fêlure qui répare » entonnez-vous dans Plusieurs moi. C’est ça écrire des textes ?
Tout à fait, il y a une confrontation à soi, une forme d’honnêteté compliquée à trouver dans la vie de tous les jours qui est extrêmement bénéfique pour celui qui écrit. Et puis toucher d’autres avec ce qu’on a en soi, c’est dingue.
Dans Ego, la musique s’offre une vraie place, quand le texte passe de la scansion au chant, en douceur, avant que les fulgurances de nappes sonores ne nous cueillent à nouveau. On s’approche d’une composition cinématographique…
Trois musiciens m’entourent dans le groupe. Pour eux, l’ambiance cinématographique a été une source importante. La musique tient parfois du sound-design avec des ruptures et coupures extrêmement réfléchies.
Qu’est-ce que Glauque écoutait pendant la genèse de l’album ?
Pour être honnête, nous avions peu de choses en commun. Mon frère, qui représentait le groupe au mixage, avait une playlist de sons très précis, pour chaque morceau avec des sons (synthé…) dont il voulait qu’ils sonnent comme tel passage de sa playlist ! Moi j’écoutais Kanye West, ses albums de 2008 (808s and Heartbreak) et 2013 (My Beautiful Dark Twisted Fantasy). Il m’a donné l’énergie de l’album.
Plan large sonne comme le single phare, très efficace. Vous y captez « le reflet de mon époque d’vant mon écran éteint », décrite comme « bavard[e] sur la forme, avare sur le fond ». Cinglant !
C’est rigolo que vous disiez ça, car sa sortie en premier n’a pas été aussi réfléchie pour nous. En fait, c’était le premier vraiment prêt, après un long moment sans sortir de titre. Au final, il a aussi été le plus streamé, à mon grand étonnement, car je le trouvais fort, mais pas ouvert ni très “grand public”. Et puis c’est le texte le moins personnel de l’album, même si j’y décris ma vision de la société, où tout le monde se surexprime pour ne pas dire grand-chose au final ! Pour une fois, ce n’est pas sur moi que je tire une balle mais sur les autres. Nous avons majoritairement composé durant le confinement et j’ai tout coupé, à l’époque, pour ne pas être inondé. J’avais l’impression qu’on se perdait en débats sur l’actu, un peu anecdotiques, où les divergences d’opinions prenaient des proportions soulantes. Souvent, on dose mal ce qu’on reçoit, ce à quoi Internet nous expose. Il est sain de couper je crois, sinon tout se mélange de manière insidieuse.
Vous avez eu un succès incroyable auprès du milieu de la musique, d’un coup. Comment vit-on avec ça ?
Bien en fait, parce que ça ne change rien au fond. Les gens ne nous connaissent pas, ne nous reconnaissent pas, sauf notre petit public. La bulle créée par les journalistes et les gens du milieu de la musique est loin de notre vie de tous les jours, à Namur. On a très vite pris conscience que c’était comme une bulle spéculative. On savait que Glauque n’était ni un projet grand public fédérateur, ni commercial, donc le retour à la réalité a été simple. Nous avons tous un taf à côté de la musique. En vivre serait plus un confort qu’un but ultime.
À La Rockhal (Esch-sur-Alzette) vendredi 3 février, à La Cartonnerie (Reims) mercredi 27 mars puis à La Laiterie (Strasbourg) vendredi 19 avril
rockhal.lu – artefact.org