Fin de party
Pour sa première création strasbourgeoise, Gisèle Vienne réunit une foule de danseurs sur les beats electro du duo KTL. Plongée en pleine répétition de Crowd, entre érotisme lascif, finesse du geste et recherche de lâcher-prise.
Du minimalisme technoïde aux basses puissantes sur des BPM s’envolant, la musique frappe fort dans le Hall du Wacken. Le Maillon vibre au rythme de classics de Detroit et de Berlin, berceaux des musiques techno et électroniques. La tracklist signée Peter Rehberg, collaborant de longue date avec Gisèle Vienne, réunit rien moins que Mad Mike, l’un des créateurs du label Underground Resistance, le duo Maurizio (Moritz von Oswald et Mark Ernestus) avec Domina ou encore le hit Acid Eiffel signé Choice, pseudo d’un certain Laurent Garnier accompagné par Shazz et Ludovic Navarre… De quoi sérieusement ambiancer le plateau – encore nu en ce premier jour de la dernière période de répétitions – où se meuvent une quinzaine de danseurs lancés dans une fête plus ou moins improvisée en un lieu interlope. Le sol devrait, d’ici la première, se joncher de terre et de cadavres de bouteilles et gobelets, reliquats d’une beuverie bien entamée. La lumière cartographie et hante l’espace. Comme dans ses précédentes pièces1, l’artiste, chorégraphe et metteuse en scène franco-autrichienne investit le champ du rituel collectif contemporain dont émergent désirs inavouables (ou inavoués), inquiétante étrangeté et pulsions de violence plus ou moins contenues. Micro en main par-dessus les décibels de KTL2, elle drive à la manière d’un coach ses danseurs disséminés, suivant en mouvements saccadés la musique. Une fille, au milieu, attire notre regard.
Le ralenti de son oscillation renforce la charge érotique qui s’en dégage. Puis la focale change, un autre couple est “activé”. Leur étreinte ressemble à un slow-motion. Gisèle Vienne scrute les moindres détails, invectivant ses troupes en switchant du français à l’anglais : « Amusez-vous ! Don’t touch yourselves ! Soyez 100% concentrés sur ce que vous faites ! Gardez la même qualité avec la dynamique de votre partenaire ! » En quête d’un lâcher-prise total alors même qu’elle impose un contrôle et une précision extrême à ses interprètes. « Let’s enjoy the reality, your feelings » clame-t-elle au moment où les mouvements s’accélèrent et se figent en saccades, reproduisant durant de longues minutes l’effet d’un stroboscope sans les flashs de lumière. Les mêmes mouvements sont cadencés, comme dans un rembobinage sans fin des mêmes séquences, sur une cadence de quatre temps qu’elle égrène pour tenir le rythme. Entre Topless de Zoo Brazil et The Intruder de Mad Mike, le temps se distord, les repères de la réalité se troublent. Gisèle Vienne manipule toute une palette d’effets cinématographiques pour orienter nos regards, insuffler un état émotionnel : foule se figeant pour isoler deux danseurs dans l’approche sans fin d’un baiser, incidents isolés s’arrêtant net, poses à la limite de transes dévotes, reculons étranges… Le tout dans une recherche extatique de désirs charnels débordant jusque dans la salle où prendra place, d’ici quelques jours, le public.
maillon.eu – pole-sud.fr
> Au Manège (Reims), mercredi 15 novembre (dans le cadre de la Biennale de la Danse Grand Est)
manege-reims.eu
> Au Théâtre Nanterre-Amandiers, du 7 au 16 décembre (présenté avec le Festival d’Automne)
nanterre-amandiers.com – festival-automne.com
> À La Filature (Mulhouse), mardi 29 mai 2018
lafilature.org
biennaledanse-grandest.com
g-v.fr
1 Lire Les Poupées de chair rêvent-elles de pantins électriques ? dans Poly n°155
2 Le duo formé par Peter Rehberg et Stephen O’Malley signe une musique originale pour Crowd