Avec Girls and Boys de son auteur fétiche Dennis Kelly, Chloé Dabert signait sa première création à la tête de la Comédie de Reims. Sa reprise est l’occasion de découvrir un monologue reflétant la violence de notre société, jusque dans la cellule familiale.
Pitié et terreur. Un couple de sentiments qui sied comme un gant au dramaturge anglais Dennis Kelly, connu du grand public comme scénariste de la série Utopia. Après Orphelins et L’Abattage rituel de Gorge Mastromas, Chloé Dabert s’attaque à Girls and Boys, récit à la première personne d’une femme revenant sur sa vie depuis qu’elle est tombée amoureuse d’un type dans la file d’attente d’un aéroport qui, pourtant, lui a tout de suite déplu. Avec une langue vivace, débordant d’humour cru et d’autodérision acerbe, elle livre en anecdotes les grandes lignes de l’idylle qui se noue, de l’admiration pour l’intelligence de son compagnon qui « fait des choses » et lui donne confiance jusqu’aux turbulences qui les menacent : son ambition à elle dans la production de films documentaires, leurs deux enfants à élever, le temps qui manque, la diminution des rapports sexuels, l’incompréhension mutuelle qui finit en conflit verbal larvé quand elle ne devient pas une guerre de tranchées où chacun campe sur ses positions. Ce qui pourrait paraître comme une énième satire à la mode de vies azimutées par les cadences modernes et l’impossible équation entre développement personnel, épanouissement et contraintes vole littéralement en éclats sous la plume de Dennis Kelly. Il s’empare, comme souvent, d’une situation quotidienne et de personnages des plus ordinaires que la violence de notre époque et les rapports de domination viennent balayer jusqu’à faire trembler l’humanité dans laquelle notre espèce aime se parer. « Le monde dans lequel nous vivons déborde dans cette écriture très rythmique et technique aidant à mettre de la distance. Il fouille l’âme sans manichéisme, cherchant à montrer les mécanismes de la manipulation. » Il y a ces enfants qui ne répondent jamais, ce mari dont nous ne connaitrons pas le point de vue… Autant d’indices au milieu de la fausse piste initiale des confidences sans fard de celle qui pourrait être une amie comme nous en connaissons tous. Au milieu du « porno de la douleur » des chaines d’infos, « on est juste tous des chimpanzés un peu bizarres » lâche-telle. Pulsions, instincts, violences extérieures polluent l’espace intime que Chloé Dabert « divise en deux : celui de la narration et celui, plus irréel, des enfants. Il est important de conserver du mystère pour ne pas déflorer les surprises et lectures possibles des événements que nous propose l’auteur. »
À la Comédie de Reims du 22 au 26 février
lacomediedereims.fr