Opéra de chambre signé George Benjamin, Picture a day like this est une fable initiatique questionnant notre capacité à être heureux.
Ce fut la sensation du festival d’Aix-en-Provence, l’année passée : quatrième collaboration entre le compositeur George Benjamin et son librettiste Martin Crimp (après notamment le succès planétaire de Written on Skin, en 2012), Picture a day like this (Imagine un jour comme celui-ci) possède tous les atours d’une fable contemporaine. Plongeant ses racines dans un conte populaire russe, La Chemise de l’Homme heureux, tout autant qu’au cœur d’une légende bouddhiste ou dans le Roman d’Alexandre – recueil consacré au célèbre Macédonien qui traversa tout le Moyen Âge –, l’opéra narre l’histoire d’une femme qui a perdu son enfant. Désespérée, elle pourra néanmoins le faire revenir à la vie en prélevant un bouton sur le vêtement d’une personne heureuse. Si toutefois elle en trouve une… Et de croiser au cours de sa quête dans un monde imaginaire, plusieurs êtres nimbés de toutes les apparences du bonheur… qui n’est évidemment jamais sans nuages. Au fil de ses pérégrinations, se présentent un couple d’amoureux qui semble planer de félicité en félicité mais dont le lien va se briser, un artisan amoureux du travail bien fait qui fabriquait des boutons avant de partir à la retraite (dont l’esprit a l’air quelque peu dérangé), une compositrice en vogue et son assistant – qui donne au musicien l’occasion de se pencher sur son propre métier avec un humour très britannique – et un collectionner d’art. Chacun de ces personnages semble prostré, perdu dans une bulle étanche possédant sa propre identité sonore et visuelle, comme si George Benjamin avait écrit une suite de miniatures d’une infinie délicatesse. Une fois les illusions dissipées, la joie ne demeure pas.
Au terme de cette quête, dans un jardin suspendu entre réel et irréel, l’héroïne rencontre Zabelle, interrogeant une fois encore le bonheur et sa possibilité. Au fond, celui-ci existe-t-il sur cette terre ? Tel est le questionnement parcourant toute une partition qui finit de la manière la plus poétique qui soit, portée par une mise en scène d’une grande sobriété signée par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, qui jouent avec finesse des ombres et des lumières, des noirs profonds et des couleurs éclatantes. Sur scène, l’intensité de l’émotion jaillissant d’une musique irriguée d’une vive sensualité, et des mots, elliptiques mais puissants, est comme contenue par un plateau oscillant entre réalisme glacé et étrange onirisme d’un jardin idyllique…
À l’Opéra (Strasbourg) du 15 au 20 septembre, en préambule au festival Musica, et au Grand Théâtre (Luxembourg) vendredi 28 février et dimanche 2 mars 2025