Gay guerilla
Dernier programme d’une riche saison pour le Ballet de Lorraine, Piano Piano réunit deux créations maison signées Olivia Grandville et Petter Jacobsson & Thomas Caley.
Le directeur du Ballet de Lorraine n’est pas homme à laisser passer le centenaire de la naissance de Merce Cunningham ! S’emparant du premier mouvement de Four Walls, musique composée pour piano et voix seule par John Cage pour son compagnon chorégraphe. Avec son complice Thomas Caley, Petter Jacobsson s’inspire d’un entretien autour du silence enregistré dans l’appartement new-yorkais de Cage. Naissait une focalisation sur le temps et le moment présent, la circulation du son dans l’espace. For Four Walls fait ainsi écho à la performance originale de 1944 qui ne fut jouée qu’une seule fois avant d’être perdue et oubliée. À la fin des seventies, un pianiste retrouva la partition au milieu de manuscrits du compositeur qui en dira plus tard qu’elle rappelle – voire préfigure ! – la musique de Philip Glass et Steve Reich avec ses « passages répétés où tout est écrit pour les notes blanches du piano, en sol majeur et la musique ne s’arrête jamais. » Au point que son auteur en redécouvre totalement les contrastes et la puissance, ersatz de ce qui forgera le style et l’influence globale du duo Cage-Cunningham. Interprétée en direct par la pianiste Vanessa Wagner, la pièce n’est plus donnée entre quatre murs d’un appartement de la 6e Avenue mais dans un espace entouré de miroirs, matérialisation d’une finitude et d’un espace-temps où se réfléchissent les sons et les corps. L’image navigue et se répercute comme les temporalités éloignées entre l’oeuvre originale et ce qu’elle devient, totalement revisitée à Nancy. La seconde pièce au programme s’inscrit elle aussi dans l’histoire du minimalisme musical avec Evil Nigger de Julius Eastman. La chorégraphe Olivia Grandville s’inspire de cette oeuvre du pianiste et activiste afro-américain disparu en 1990, dans l’indifférence générale. La musique de cette « figure injustement oubliée » n’a de minimale « que ses procédés d’écriture », analyse-t-elle. « Pour le reste, elle apparaît surtout chargée d’une énergie rock en phase avec les engagements politique du compositeur en tant que musicien noir et gay, en phase aussi avec son époque, cette génération qui rêvait de marier les idéologies collectives à la libération individuelle. » Avec Melaine Dalibert et Manuel Adnot au piano et à la guitare électrique, Jour de colère invite à une contestation groupée de la jeunesse, par-delà les individualités de chacun, sur un rythme effréné. Nait une danse pour corps affutés, lancés dans de grands jetés désordonnés.
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 23 au 26 mai