Gangrène
Figure phare du théâtre et du cinéma hongrois, Kornél Mundruczó s’inspire d’un sombre fait divers dans Imitation of life, critique en règle du racisme et du populisme irriguant l’Europe.
Kornél Mundruczó poursuit son entreprise de dénonciation des rapports de domination entre les hommes initiés
par Frankenstein – Project¹, Hard to be a god² et Disgrâce³. Au cœur de sa nouvelle pièce, le sort des tziganes dans une Hongrie au nationalisme incandescent. Dans un petit appartement, une vieille femme, veuve depuis une poignée de jours, voit débarquer un organisme de recouvrement d’impayés. Avec sa maigre pension d’invalidité (175 €/ mois), elle avait bidouillé pour survivre et ne plus payer l’électricité. Pas question pour elle de divulguer son nom, bien décidée à ne pas faciliter le processus d’expulsion qui se profile après la dénonciation dont elle a été victime : une vidéo d’un élu municipal d’extrême droite. L’échange filmé en gros plan dévoile les raisons de sa précarité, des humiliations d’enfance (aspergée de force d’insecticide par les autorités et lavée par un homme muni de gants dans un campement de fortune) à celles quotidiennes (un logement à « commodités modérées », comprenez sans eau et sans toilettes).
Son origine ethnique entrave même, malgré son état, la venue d’une ambulance dans son HLM. L’opérateur téléphonique du SAMU avoue sans fard que s’il répondait à toutes les sollicitations des tziganes, « la population hongroise périrait ». Un rejet que son fils n’a pas supporté, lui qui, après avoir passé son corps à l’eau de javel pour le blanchir, vend son corps dans un bordel de la ville voisine. Sans esthétisation, cette violence du propos est portée par des comédiens jouant dans un réalisme cru, corps investis et visages marqués par la rudesse de vies peu épargnées. Dans un superbe effet scénique, l’appartement fera un tour complet sur lui- même, envoyant valdinguer vivres et ustensiles, meubles et bibelots avant d’accueillir une mère paumée, victime de violences, et son jeune ls. Elle aussi cache son appartenance à la minorité honnie. Même à cet ex violent qui la harcèle au téléphone. Le deux pièces sens dessus dessous, mi cloaque mi dernier refuge la séparant de la rupture sociale, lui sera cédé contre du cash, exclusivement. De quoi mettre son préadolescent à l’abri du dehors tandis qu’elle s’y aventure, la nuit venue, mue par de contradictoires sentiments la tenant aux tripes, à la recherche de lendemains qui ne déchantent…
Au Maillon-Wacken (Strasbourg), du 18 au 21 avril (en hongrois surtitré en français)
maillon.eu
¹ Présenté en 2008 durant le défunt festival Premières festivalpremieres.eu
² Lire Affreux, sales et méchants dans Poly n°143 ou sur poly.fr
³ Lire Un Cri court dans la nuit dans Poly n°164 ou sur poly.fr