Gabriele Münter, la Cavalière bleu
L’écrin du Zentrum Paul Klee de Berne célèbre enfin Gabriele Münter, Pionnière de l’Art moderne. La première rétrospective consacrée à cette artiste majeure est tout un symbole.
Soixante ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour qu’enfin soit reconnue l’œuvre et le rôle prépondérant de Gabriele Münter (1877-1962) dans l’avant-garde allemande. Autant d’attente posthume que de temps à peindre et dessiner. Longtemps cantonnée au rôle d’amante de Kandinsky, dont elle suivit les cours de peinture avant que la Première Guerre mondiale ne les éloigne définitivement, elle symbolise l’invisibilisation des femmes dans les sociétés occidentales. Marquée par le Fauvisme, elle expose pourtant avant ses 30 ans au célèbre Salon des artistes indépendants (1907), voyage aux États-Unis, en Tunisie et en Europe, ses photographies documentant paysages et personnes rencontrées avec curiosité et goût. Si sa peinture sera toujours figurative, elle est encore proche d’un impressionnisme qui s’essouffle. Mais Gabriele se passionne pour les techniques d’art populaire, emprunte celle du couteau à Gauguin, copie dessins d’enfants et acquiert objets sacrés (dont on trouve un mélange dans la nature morte de Stillleben Pfingsten, 1934) mais aussi peintures sous verre.
Dans ce foisonnement, elle fonde avec Kandinsky, Franz Marc et Alfred Kubin l’un des groupes novateurs parmi les plus marquants du début du XXe siècle, Der blaue Reiter (Le Cavalier bleu). August Macke et Paul Klee les rejoindront rapidement, même si le premier sera tué sur un champ de bataille de Champagne en septembre 1914, à l’âge de 27 ans. Gabriele Münter est alors l’une des figures principales de cet expressionnisme allemand flamboyant avec des toiles lumineuses dont les surfaces aux couleurs vives sont cernées de traits noirs renforçant aussi bien ses impressions extérieures que ses expériences et sentiments intérieurs. Elle représente du monde ce qui, littéralement, la saisit. Ainsi en va-t-il de sa vision de la Dorfstrasse im Winter (1911) dans lequel un morne ciel bleu pâle renvoie d’éclatantes teintes vives des toits, façades et fenêtres, s’écoulant jusqu’à se confondre avec le sol. Son langage pictural évolue, privilégiant la surface à une utilisation de la perspective quasi naïve. Elle délaisse souvent toute ombre et, dans le cas contraire, comme dans Zuhörerinnen (1925-1930), compose une inquiétante vision symbolique dans laquelle l’alignement des jambes de jeunes femmes tranche avec les aplats noirs semblant découler d’une poupée votive suspendue au mur, derrière elles. Son audace en fera l’une des bannies du régime nazi. Elle cachera – et sauvera ! – les œuvres des membres du Cavalier bleu dans sa cave jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Puisqu’on vous dit qu’elle est essentielle…
Au Zentrum Paul Klee (Berne) jusqu’au 8 mai
zpk.org