Frize organique
La double exposition de la Fondation Fernet-Branca, associant les abstractions de Günter Umberg à la matérialité des toiles de Bernard Frize, est tout à la fois plus simple et plus sophistiquée qu’il n’y paraît. Un voyage en paysages géométriques.
Non l’abstraction picturale n’est pas qu’un courant d’esthètes intellos férus d’Histoire de l’Art et d’essais théoriques. Les démarches des deux peintres réunis à la Fondation Fernet-Branca en témoignent. Derrière les lignes géométriques et aplats de couleurs de Bernard Frize et Günter Umberg se cachent un amour du jeu, de la contrainte et du hasard des plus revigorants. C’est de l’enfance qu’ils tirent leur énergie créatrice, des passe-temps aux règles improbables, aux heureux hasards dans lesquels tout est à la fois toujours et jamais grave, comme sérieux. La liberté la plus totale naît des contraintes. Bernard Frize choisit ainsi ses couleurs par les distinctions qu’elles provoquent les unes avec les autres, qu’elles forment des bandes de drapeaux imaginaires (la série Solitaire) ou des parcours infinis d’arabesques (Suite à Onze). Avec simplicité, il décrit son travail qui « n’est pas le résultat d’une sorte de recette, mais une exploration de mon identité au monde… » Sa technique relève d’un systématisme tout en s’échappant de toute redondance, le visiteur errant en laissant divaguer son esprit en totale liberté dans les méandres de traits et de couleurs de l’artiste. Eau, pigments, effets de séchage, superpositions et pesanteur donnent une matière à des toiles pourtant planes.
En cela, il se rapproche du travail totalement abstrait de Günter Umberg, recherchant sans relâche depuis les années 1970 à faire ressentir la matérialité de la couleur. Sur des plaques d’aluminium ou de bois, il appose au pistolet une couche d’agent fixant avant d’y étaler – toujours de l’extérieur vers l’intérieur – des pigments de couleur au large pinceau. Une fois le mélange des deux séché, il recommence l’opération des dizaines de fois, conférant une intensité sans pareille à des toiles monochromes habitées d’une rare vitalité. Même ses noirs, à l’instar de Soulages, sont d’épaisseurs hypnotiques, révélant « le volume des couleurs », leur corporalité changeantes des bords au centre du tableau. Chose rare, Günter Umberg livre ses “recettes” en décrivant point par point ses protocoles de création pour que n’importe quel quidam puisse s’amuser à reproduire ses peintures. Avis aux amateurs…