Flamboyants Paysages
La Fondation Beyeler rend hommage à l’un des grands peintres suisses, Ferdinand Hodler (1853-1918), en présentant 80 œuvres des cinq dernières années de sa vie. Entre portraits pénétrants et massifs montagneux étincelants, la palette de l’artiste étonne de modernité.
Pour Oscar Wilde, « avant Turner, il n’y avait pas de brouillard à Londres. » Y avait-il des montagnes en Suisse avant Hodler ? La découverte de quelques-unes des plus belles séries du Genevois réunies à Riehen permet d’en douter. La nature rocheuse trouve, dans des formats variés, des lettres de noblesse franches. D’un Ruisseau de Champéry (1916) étrangement figé avec son eau mouvante à l’imposante Jungfrau vue de Mürren (1914), cime évanescente dans sa majestueuse et imposante massivité se dégageant habilement des nuages la tutoyant, l’on découvre tout d’abord les contours prononcés et sombres caractéristiques de l’artiste. Puis viennent les explorations clairvoyantes des autoportraits à l’huile. Ferdinand se dépeint, barbe hirsute et ténébreuse, successivement malicieux, étonné, tourmenté. L’expressivité de son visage, au centre de la toile, se joue dans la commissure de ses yeux, ses sourcils plus ou moins froncés et son front plissé. La gamme de couleurs est d’ores et déjà vivifiée par touches de vert et de jaune accompagnant les rouges, les unes dans les autres.
Chambre avec vue
Atteint d’une maladie pulmonaire qui l’emportera au printemps 1918, Ferdinand Hodler limite ses déplacements et multiplie les variations sur le même thème… Les Dents blanches à Champéry sont immortalisées au soleil levant (1916) dans des bleus lumineux à la frontière d’une plaine verte et d’une montagne totalement orange à son sommet. Le noir des contours précédents est remplacé par de superbes teintes bleutées. La bataille de la lumière est belle et bien gagnée avec une autre vue, quasi nocturne : le clair-obscur de la fin du jour voit, dans ces ambiances surréalistes peuplant les hautes altitudes, la cime de la montagne s’assombrir en relief d’un ciel que le soleil termine d’embraser de ses rousseurs illuminant une vallée dont resplendissent les profondeurs. Tourné vers un certain radicalisme pictural de plus en plus abstrait, l’audace du peintre se lit dans ses combinaisons de couleurs.
Son Grammont (1917), tout de bleu et de jaune léchant les flancs de la montagne dont les rayons de soleil embrasent la roche qui semble, seule, se réfléchir dans le ciel, trône au-dessus du lac de Taney étrangement immobile, comme secoué intérieurement par tant de beauté brute. Le même, Après la pluie (1917), est tout aussi touchant, empli d’une mélancolie qui ne devait pas manquer de submerger celui qui, depuis la mort de sa maîtresse Valentine Godé-Darel, se trouvait seul devant l’immensité de ces paysages. Dans les derniers mois de sa vie, il ne peint plus que le lac Léman et le Mont Blanc, souvent tôt le matin ou à la tombée du jour. La chaine du plus haut sommet d’Europe, à l’aube en novembre 1917, célèbre la beauté des contrastes et des reflets. Les bleus n’ont jamais été si profonds tandis que les jaunes s’émiettent en rose verdâtres et sémillants.
Au-delà de ces aplats de couleurs aux nombreuses variations de textures et de teintes, la grande modernité de Ferdinand Hodler est peut-être à chercher du côté des cadrages qu’il propose, tout en largeur panoramique, dans lesquels l’horizon est toujours trop haut (dans le premier tiers de la hauteur) ou trop bas (dans le dernier, laissant toute la place à un ciel sans nuages). Un écart tout en équilibre qui dévoile la force d’un regard mais aussi le suc si particulier de l’émerveillement d’un artiste dont, finalement, les innovations de couleurs – sublimes lorsque sa palette se fait plus froide en nuances de gris, de violets et de noirs – n’auront pas été les seules audaces.
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