Avec I’ll see you when I see you, la Fondation Fernet-Branca explore l’univers envoûtant de James White et ses fantasmatiques scènes de la vie ordinaire.
Deux verres sont posés sur l’étincelante étagère en formica blanc surplombant ce qu’on imagine être le lavabo d’une banale chambre d’hôtel. L’un, vide, sens dessus dessous ; l’autre, à moitié empli d’une eau aussi cristalline que son contenant. Elle vient tout juste d’être versée. De fines bulles remontent à la surface et l’on distingue encore les éclaboussures infimes projetées sur les bords par le jet. Leur reflet dans le miroir de cette salle de bains toute en épure et netteté est parfait. Dans le coin supérieur droit de l’image, la prise électrique qui se trouve au mur a été coupée. On reconnaît sur les gobelets l’éclat du flash de l’appareil. The Large Glass 5 (2019, tiré d’une série en forme de clin d’œil à l’énigmatique Grand Verre de Marcel Duchamp) a tout d’une nature morte ultra contemporaine, conçue comme un plan de coupe de film à suspens ou un cliché documentant une scène de crime. James White n’est pas un artiste des grandes gestes. Ses hyperréalistes peintures à l’huile en noir et blanc misent sur la densité picturale d’objets peu spectaculaires, reproduits en gros plan avec une ébouriffante virtuosité. Il faut s’approcher très près pour déjouer l’illusion photographique, repérer les touches du pinceau sous le vernis, découvrir le léger décalage entre les différentes parties d’un tableau qui se révèle être l’association de deux images et non simplement une. L’artiste londonien n’aime rien tant que brouiller les limites entre la réalité et la fiction, interroger le fantasme d’objectivité dans la représentation du monde qui nous entoure.
Bonde ruisselante d’un évier de cuisine (Plug Hole, 2019), jeu de clés posé sur le coin d’une console en marbre (Keys/Glass, 2020), robinet qui coule (Tap, 2018), souillures d’insectes sur un vieil abat-jour (Aspect/Ratio 6, 2015), sacs de provisions froissés (Double Bag, 2020)… C’est comme une collection d’instants suspendus, une grande salle de stockage des discrètes et silencieuses pièces à conviction de nos petites vies ordinaires. Des indices négligeables, qui échappent souvent à notre attention et que White met en lumière de manière d’autant plus résolue, avec la froide méticulosité d’un greffier. Peintes sur des panneaux d’aluminium, de bois ou d’acrylique, ses toiles sont toutes présentées dans de grandes boites en plexiglas, histoire d’accentuer l’aspect impartial de ces témoins d’une réalité banale, dont il revient au spectateur de finaliser à sa guise les contours du ou des sens qu’il lui accorde. Car sous le vérisme affiché, il se dégage de ces images une aura incontestablement étrange et définitivement cinématographique. Chacune semble s’inscrire dans un mystérieux arc narratif, murmurant à l’oreille du regardeur subjugué : ”Mais que s’est-il donc passé ici ?”
À la Fondation Fernet-Branca (Saint-Louis) jusqu’au 2 octobre
fondationfernet-branca.org
Légende
The Large Glass 6, 2019 © James White, courtesy Galerie Thomas Zander, Cologne