Fantômes de famille: Dmitri Tcherniakov aux Bayreuther Festspiele

Photos d’Enrico Nawrath / Bayreuther FestspieleProbe zu Der fliegende Holländer - Insz. Dmitri Tcherniakov; Musikalische Leitung: Oksana Lyniv

À Bayreuth avait lieu l’événement musical de l’été avec une nouvelle production signée Dmitri Tcherniakov du Vaisseau fantôme de Wagner.

À la fin de la représentation, l’ovation pour Oksana Lyniv ressemble à une vague qui grossit jusqu’à tout emporter sur son passage. Le public est en transe, tapant frénétiquement des pieds, faisant vibrer les fondements du vénérable théâtre et hurlant son bonheur, tant la prestation de la première femme à diriger dans “l’abîme mystique”* depuis les origines a été transcendante. Ardente et d’une impressionnante clarté, l’Ukrainienne fut tout simplement exceptionnelle. Tout comme la soprano Asmik Grigorian, reçue par une similaire marée de joie : Senta hyper- expressive, déchirante et hallucinée, plus ado révoltée qu’héroïne romantique, elle donne chair à son personnage avec grande puissance. Pour Dmitri Tcherniakov, l’accueil fut plus contrasté le soir de la première, une partie de la salle le huant avec force, l’autre l’applaudissant fiévreusement – une dualité reflétant une querelle des anciens et des modernes à la mode opératique. Il est vrai que le metteur en scène russe se plait à twister les histoires originelles, s’en éloignant considérablement et s’amusant à raconter quelque chose de très différent. Mais c’est fait avec une telle intelligence qu’on ne peut qu’être bluffé, n’en déplaise aux pisse-froid espérant une lecture littérale de l’œuvre.


C’est le cas une nouvelle fois avec ce Vaisseau fantôme qu’il dépouille de nombre de ses oripeaux romantiques, imaginant à la place une histoire de famille d’une extrême cohérence, lourde de secrets et percluse de traumatismes. Pendant l’ouverture, des saynètes muettes expliquent ce qui va suivre. Une femme marche dans la rue avec son enfant qu’elle renvoie à la maison pour aller à un rendez-vous galant. Au coin de la rue, l’étreinte est brûlante. Violente plus que passionnée. Mais le fils a tout vu… Plus tard, lorsque l’homme repousse sa mère avec la même brutalité qui parcourait leur étreinte, le gamin est toujours là, les yeux exorbités. Choqué. Fille irrémédiablement perdue dans une société villageoise étriquée, elle n’a plus qu’une issue : son corps est retrouvé pendu. Des années plus tard, le petit garçon – le Hollandais – reviendra se venger de cet homme – Daland, incarné avec une élégante solidité par la basse Georg Zeppenfeld –, la cause de son malheur. Point de vaisseau fantôme donc, mais des spectres venus du passé qui hantent le plateau dans un huis clos étouffant se déployant dans un village de briques sinistre, qu’on pourrait croire posé sur les côtes de la Mer du Nord, quelque part aux Pays-Bas. Il convoque pêle-mêle les toiles d’Edward Hopper et les photographies de Gregory Crewdson. Apocalyptique, la fin, véritable brasier au sens propre autant que métaphorique, nous laissa sonnés…


Cette production du Vaisseau fantôme sera à nouveau à l’affiche de l’édition 2022 des Bayreuther Festspiele, dont le point d’orgue sera une nouvelle Tétralogie mise en scène par Valentin Schwarz
bayreuther-festspiele.de

* Surnom donné à la fosse de Bayreuth, parce qu’elle est partiellement recouverte, dérobant l’orchestre au regard des spectateurs, et descend à la verticale, ce qui lui confère une sonorité unique

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