Essais transformés
Avec Voyage en Italie, le metteur en scène Michel Didym propose une création adaptée de Montaigne. Rencontre avec le directeur du Théâtre de la Manufacture.
«Partout où le vent m’emporte, je m’installe un moment » : cette ode au voyage est gravée sur une solive de la “librairie” du château périgourdin de Michel Eyquem de Montaigne. « Le philosophe a longtemps été présenté comme un sage méditant dans sa bibliothèque sur le sens des sentences grecques inscrites sur son plafond », s’amuse Michel Didym. « Or depuis Starobinski, entre autres, on sait qu’il a toujours été en mouvement. » En témoigne son Journal de voyage en Italie, redécouvert à la fin du XVIIIe siècle. En 1580, alors que les Guerres de Religion font rage, Montaigne décide d’entreprendre un tour de dix-sept mois à travers l’Europe. Prétextant vouloir soigner sa gravelle – des calculs rénaux – en visitant les villes d’eaux, il s’engage avec son équipage dans un périple qui le mène de l’Aquitaine à l’Italie en passant par l’Alsace, la Lorraine, la Suisse et l’Allemagne. À Rome, il rencontre le Pape afin d’obtenir l’imprimatur de l’Église romaine pour la publication des Essais.
« En chemin, le penseur découvre différents us et coutumes », poursuit Michel Didym. « Il les décrit avec acuité, humour et souvent dans un style imagé. Il a le goût des chemins inconnus et, passionné par l’Homme, ne cesse
de s’émerveiller. Son journal est truffé d’anecdotes architecturales, culinaires, ethnologiques…» Au fanatisme religieux, il oppose la Raison et s’efforce d’apaiser les tensions entre Catholiques et Protestants. « Je suis frappé par la modernité de son discours : il est l’ancêtre de l’intellectuel engagé ! » Le texte, savoureux et théâtral, emprunte au patois et aux langues vernaculaires, tandis que la mise en scène rend compte du mouvement de l’esprit : l’acteur principal progresse à cheval dans un espace ouvert où évoluent deux poules. « Le rythme balancé de la marche favorise la méditation. Les digressions, ruptures et jeux de questions nourrissent les dialogues avec le palefrenier, le secrétaire, le cheval et le public. » Enfin, un univers sonore original (bruits de la nature, chanson à cheval, musiques folklorique et électroniques, etc.) contribue à élargir l’espace. Le 7 septembre 1581, Montaigne, élu maire de Bordeaux, est finalement contraint de mettre fin à son itinérance. Son Journal demeure un témoignage précieux qui fait curieusement écho à l’actualité. « Engagé dans cet essai de soi qu’est le voyage, Montaigne y prend à partie, dans une langue toujours inventive, ceux qui aujourd’hui l’entendent et s’efforcent de résister aux tentations de l’obscurantisme. »
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy), du 12 au 22 mars
theatre-manufacture.fr
À La Comète (Châlons-en- Champagne), mardi 2 et mercredi 3 avril
la-comete.fr