Eros & Thanatos
Premier album d’un jeune auteur (très) prometteur, cette biographie en bande dessinée d’Egon Schiele intitulée Vivre et mourir est une habile variation sur l’existence d’un peintre fascinant.
Xavier Coste est né en 1989. À un peu plus de 22 ans, le diplômé de la prestigieuse École Penninghen livre un opus fulgurant (il en signe dessins, textes et couleurs) en forme de “portrait romancé” d’Egon Schiele (1890-1918), sombre météore qui passa dans le ciel artistique viennois à la fracture du dix-neuvième et du vingtième siècle. Voilà une période fondamentale dans l’histoire de l’art européen qui débute symboliquement le 3 avril 1897 lorsqu’est fondée l’Association des artistes plasticiens d’Autriche, plus connue sous le nom de Sécession, dont le premier président est Gustav Klimt. Les jeunes créateurs vouent alors aux gémonies le conservatisme poussiéreux de leurs ainés. C’est justement le grand Gustav Klimt, dans les premières pages de l’album, qui encourage Schiele, dont les compositions singulières irritent les tenants d’un art officiel corseté.
Le trait de Xavier Coste rend à la perfection l’univers du peintre fait d’hommes et de femmes aux silhouettes émaciées, maladives, et représentés, le plus souvent, dans des poses improbables, en tout cas très différentes des nus académiques. La palette chromatique de la BD – explorant toutes les variations possibles autour du brun – rend à merveille les carnations blafardes des dessins de Schiele. Nous voilà entrainés dans un tourbillon d’érotisme… parfois dérangeant. Regards voluptueux et intranquilles. Appel désespéré d’une chair livide pour des étreintes exsangues et nerveuses. Yeux exorbités. Plaisir ? Angoisse ? Eros et Thanatos violemment mêlés. Dessins et toiles et, par ricochet, planches de l’album, évoquent un expressionnisme en germe que l’auteur tente de comprendre en démêlant les fils d’une existence tourmentée qui s’achève tristement au cœur de l’immense épidémie de grippe espagnole qui touche l’Europe. Dans le torrent de biographies en bande dessinée qui inonde les rayons des librairies depuis peu, cet Egon Schiele appartient, au même titre que Pablo (une belle réflexion sur les jeunes années de Picasso parue chez Dargaud) aux réalisations les plus réussies.