Emmanuelle Cuau est l’invitée d’honneur de la 37e édition d’Entrevues, festival international du cinéma indépendant. Rencontre avec une cinéaste à l’oeuvre rare, captant au plus juste les déchirures de la vie.
En 1995, Circuit Carole remportait le premier prix à Belfort. Vous voilà de retour au festival, en invitée d’honneur cette fois…
J’ai été la première surprise de cette proposition, moi qui ai si peu tourné. Trois longs-métrages en trente ans ! Je suis très lente. Il me faut du temps pour écrire. Et quand on voit la durée de vie des films en salles de nos jours -deux semaines d’exploitation pour des années de travail –, c’est désolant.
Dès vos débuts, vous déclariez dans les pages de Libération vouloir « prendre le temps. Je sais que je resterai toujours d’un certain côté. » De quel « côté » parliez-vous ?
Je ne veux pas tourner pour tourner. Aujourd’hui, les films français se ressemblent : la même histoire, déclinée en diverses variantes, les mêmes interprètes – ce qui n’est pas seulement la faute du réalisateur ! Parce qu’in fine, les financements dépendent surtout des chaînes de télévision. Ce sont elles qui décident… et c’est assez aseptisé. À moins de faire des longs-métrages vraiment fauchés, on n’a pas grande liberté.
Vous disiez aussi que « le cinéma est une affaire de morale ». Qu’entendiez-vous par là ?
Il faut être vigilant sur la justesse de ce qu’on raconte. Il s’agit de ne pas trahir le réel, de porter une attention soutenue aux personnages et de s’efforcer de rester le plus droit possible : ne pas céder à la facilité, à une belle image, etc.
Circuit Carole explorait les rapports entre une mère et sa fille, quand Pris de court (2017) plonge une femme – magnifiquement interprétée par Virginie Efira – et ses fils dans un terrifiant engrenage…
Les liens unissant une mère à son enfant me fascinent. Circuit Carole est l’histoire d’une mère qui n’a que l’amour de sa fille pour la faire vivre. Tout le reste la fait mourir : le temps qui passe, la fatigue, le chagrin… Le sentiment maternel est, pour moi, tellement impossible à dire ! Un absolu, qui peut aussi être culpabilisant pour l’enfant.
Annie Ernaux, lauréate du Nobel de littérature, a loué la justesse avec laquelle vous retranscrivez la complexité des rapports familiaux. Quelle est la place de l’ambiguïté dans votre cinéma ?
J’aime énormément Herman Melville, grand écrivain de l’ambivalence – d’ailleurs auteur d’un splendide Pierre ou les Ambiguïtés –, et me remémore souvent un chapitre de Moby Dick au sujet de la blancheur de la baleine. Il y avance l’idée que le blanc est la couleur la plus équivoque qui soit, à la fois celle de la robe de la mariée et celle du linceul dans lequel on enveloppe les morts. Rien n’est jamais d’un seul tenant en ce monde. On passe sa vie à jongler avec les situations, les circonstances… Retranscrire cela dans mes histoires, c’est tout ce qui m’intéresse. J’aime le ténu, toutes ces choses apparemment insignifiantes, mais qui en disent le plus.
Au cinéma Pathé (Belfort) du 20 au 27 novembre
festival-entrevues.com