Enfance en sommeil
Pour sa nouvelle création, Guy Pierre Couleau, directeur de la Comédie de l’Est, s’empare de Guitou, texte intime de Fabrice Melquiot explorant le regard d’un adulte sur ses souvenirs. En question : la paternité, la construction de soi et l’élan créatif.
Comment avez-vous découvert cette pièce où le personnage principal, Fabrice, voit son quotidien bouleversé lorsque sa fille de sept ans lui affirme que son copain d’enfance, Guitou, lui a rendu visite ?
Je cherchais un texte pour une petite distribution. Je m’arrête sur Guitou en librairie, l’achète et en tombe immédiatement amoureux. La distribution composée uniquement d’adultes m’est apparue d’un bloc. Melquiot nous invite à retrouver les enfants qui sont en nous. Je lui ai écrit, puis téléphoné. Il m’a confié qu’elle lui était très chère car extrêmement personnelle. C’est, en fait, sa propre histoire. Je suis allé à Genève le voir dans son théâtre[1. Depuis l’été 2012, Fabrice Melquiot est directeur du Théâtre Am Stram Gram de Genève – www.amstramgram.ch], il était avec sa fille Armance – le nom de celle de la pièce – âgée de deux ans et demi. Là, je comprends qu’il a tout imaginé alors que sa femme était enceinte, inventant sa future fille à sept ans lui racontant quelque chose de son passé à lui, le confrontant à son statut de père actuel. Une mise en abîme, une projection poétique pure par rapport à son état de futur père. Fabrice n’accepte pas tout de suite ce retour de quelqu’un qu’il n’a pas vu depuis 30 ans. Il est dans une mise au point avec lui-même jusqu’au moment où il reconnaît, en vrai, son ami d’enfance, âgé de 10 ans, dans la chambre de sa fille. Là, tout devient très net, d’un coup !
Une grande lucidité sur le chemin qu’il devra faire, de confrontation à soi générée par le regard et les questionnements que posent un enfant…
Nous étions deux pères en train de parler avec l’enfance au milieu de nous. Depuis, des coïncidences me sont apparues : Guitou était mon surnom lorsque j’étais petit, l’enfant a ici sept ans, la mienne neuf. Le rapport à la paternité, à ce mystère du moment où l’on devient un parent sont autant de symboles de la condition humaine, de l’avancée dans l’âge, de la manière dont on conjugue les différents temps de la vie, ce qui est au fond très théâtral puisque nous ne faisons que convoquer des fantômes pour raconter des histoires aux vivants.
Ce thème de l’exploration du passé pour avancer dans le présent, du temps que l’on veut retrouver comme Proust, vous habitait ?
De manière inconsciente, non formulée… Cela m’habite souvent. Je suis tellement proche de mes souvenirs que je dois nécessairement vivre dans le présent, sinon la nostalgie prendrait le dessus. Je ne me laisse pas le temps d’en éprouver, effaçant beaucoup de choses de ma mémoire pour pouvoir avancer. J’aime énormément Thomas Bernhard car il sait que nous avons tous une échéance. Il ne parle que de la mort, de la fragilité de la vie. Cet auteur n’est pas défaitiste mais dans une acceptation de notre destinée et Guitou procède beaucoup de cela.
La scénographie sera minimaliste avec un unique canapé au milieu d’un espace ouvert où le public est installé de part et d’autre de la scène, en bifrontal…
Rien n’est encore figé mais j’ai dans l’idée de placer un seul élément symbolisant l’ensemble des lieux : un canapé ou un sofa pouvant être un lit, une table, un plan de travail… Je veux créer une boite, mettre en condition le spectateur pour faire naitre en premier le regard et l’écoute. Mais la scénographie doit aussi être dictée par le sens du texte. Le dispositif bifrontal met la pièce au centre, le public étant comme dans les murs de la maison. Le temps qui passe pour Fabrice, confronté à l’irruption de son passé dans le présent, m’a amené à imaginer des traversées, des opacités créant des flous différents et des mises au point. Des voilages de chaque côté de la scène, comme si nous étions derrière une baie vitrée, regardant à l’intérieur… Ils s’ouvriront pour dévoiler une partie de la vérité comme ils opacifieront le discours à d’autres moments dans un subtil jeu de symboles.
L’espace scénique est à la fois concret et symbolique, une plongée dans la tête de Fabrice et de ce qu’il ne veut pas voir ?
Oui, c’est son espace mental. Des voiles sont placés sur la vérité, des choses que nous ne voulons ou ne pouvons pas comprendre jusqu’à ce que nous les réalisions.
Ne prendre que des adultes, même pour les rôles d’enfants, permet d’affirmer l’ouverture de cette pièce qui ne s’adresse pas qu’au jeune public. Cela complexifie-t-il aussi le jeu des comédiens ?
J’ai envie de tenter le théâtre-narration, passant sans cesse de l’adresse directe au spectateur – les pensées de Fabrice – au jeu entre les acteurs, sans transition. Le temps de la narration au présent et celui de l’action passée se superposent et s’imbriquent.
Fabrice a une phrase magnifique : « Est-ce que tu peux rentrer dans la photographie et me rapporter des choses ? »
Il est attaché à des souvenirs, un vinyle de l’époque, une boule de neige qu’il aimerait retrouver… Et Guitou revient avec un verre d’eau, expliquant qu’elle a fondu pendant le voyage !
Qu’en est-il du chamboulement des autres personnages suite à l’arrivée de Guitou ?
Fabrice est totalement largué, il ne veut pas accepter ce qui arrive et va lutter contre jusqu’au moment où il devra faire face à la réalité : son enfance existe en lui ! Avec sa femme, il forme un couple d’artistes en panne, n’arrivant plus à produire parce que la peinture se vend de moins en moins, comme les livres. Il est de plus en plus difficile pour eux de peindre le monde, et il va falloir que ressurgissent des choses, qu’il accepte une partie de son enfance, pose un regard lucide sur qui il a été et qui il est aujourd’hui pour se remettre à écrire.
03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com