Little ghetto boy
Dans Eldorado Terezín, Claire Audhuy confronte la supercherie de la visite du ghetto de Terezín, orchestrée par les nazis pour duper la Croix Rouge, à une pièce écrite par un enfant tchèque de 13 ans dans ce même camp. Elle signe un spectacle caustique, pétri de résistance.
Tout a débuté par onze pages griffonnées avec application, trouvées par hasard dans les archives du Mémorial de Terezín par Claire Audhuy alors qu’elle travaillait à sa thèse de doctorat sur le théâtre dans les camps nazis. On a besoin d’un fantôme* d’Hanuš Hachenburg s’ajoute aux 27 manuscrits de pièces concentrationnaires clandestines exhumées durant ses recherches. Stupéfaite par ce texte, « la justesse d’analyse de cet ado qui décrit et réécrit dans une farce bouffonne l’implacable violence nazie en se réclamant d’une “République de Skid” dont l’emblème – une fusée partant dans une étoile grâce à la littérature – et la devise – “Chaque homme qu’il soit juif, chrétien ou athée est mon frère” – qui trônent sur les pages de Vedem, journal clandestin qu’ils tiennent, sont une incroyable leçon d’humanité », raconte, émue, la metteuse en scène. Cette pièce pour marionnettes raconte comment Analphabète Ier et ses Saucissons Brutaux (SS en tchèque) peinent à mater le peuple même s’il est prêt à collaborer en échange de menus avantages. « On sait aujourd’hui qu’Hanuš Hachenburg, avant d’être déporté à Auschwitz où il sera assassiné en juillet 1944, la veille de ses 15 ans, lut son texte dans son baraquement de Terezín, entouré d’une quarantaine de Skidites », confie Claire Audhuy qui a fait construire à Jaime Olivares (ex Flash Marionnettes) 18 peluches anthropomorphes pour ce qui constitue la seconde partie d’Eldorado Terezín, rêve du jeune prisonnier joué pour nous. Dans la première, elle nous fait revivre, de manière absolument documentaire, la visite orchestrée par le régime nazi en juin 1944 du ghetto de Terezín qui permit de duper les émissaires de la Croix Rouge. Une incroyable mystification (avec promesse de vie sauve pour les participants, infiltration de SS parmi les juifs du camp…) qui fit passer une antichambre de la mort et de la déportation pour « un Nouvel Eldorado pour les juifs » comme le proclamait la propagande officielle. Le commandant SS Karl Rahm manipule une marionnette d’1,70m à l’effigie d’Eppstein, doyen des Juifs et faux maire de la ville. Tout est filmé et retranscrit sur écran dans une réflexion sur la manipulation des images et de la falsification de la réalité. Avec minutie, tout est fait pour glorifier une « colonie autogérée avec vue sur le lac, jusque dans des détails incroyables sur la décoration éducative des chambres d’enfants, le remplacement du beurre par de la margarine ou le fait qu’on y trouve des sardines portugaises ! » S’appuyant sur un film de propagande tourné à l’époque, les photos de la Croix Rouge et le rapport officiel (qui constitue « mot à mot ce qu’on entend ») rendu après cette visite, ont été construites des valises pop-up reconstituant le camp. Eldorado Terezín est une plongée réaliste dans un modèle de supercherie qui dupa le monde et pourtant incapable d’enrayer la résistance des Skidites.
> puis Eldorado Terezín en tournée à l’Espace 100 (Illzach), vendredi 1er et samedi 2 décembre
> à Hénin-Beaumont, vendredi 8 décembre
> à L’Espace K (Strasbourg), du 23 au 27 janvier 2018
> au PréO (Oberhausbergen), jeudi 22 et vendredi 23 mars 2018
> dans l’ancien camp de Natzweiler-Struthof (sous chapiteau) du 23 au 26 août 2018
rodeodame.fr
* La pièce a été publiée en 2015 aux éditions Rodéo d’âme (14 €), agrémentée de traductions des poèmes d’Hanuš Hachenburg et de reproductions des manuscrits originaux de Vedem regroupant dessins satiriques, poèmes bouleversants, etc. – rodeodame.fr