Du houblon au vodou
Ancien PDG des brasseries Fischer, Marc Arbogast est le propriétaire du Château Vodou rassemblant à Strasbourg une envoûtante collection privée issue de ses périples africains. Portrait d’un homme aimant s’entourer de dieux.
Depuis plus d’un an, le musée installé dans un ancien château d’eau dévoile une exceptionnelle collection d’objets vodous ouest-africains (Bénin, Ghana, Nigéria ou Togo) : des crânes décorés, des masques colorés ou des représentations de divinités faites de bois, de clous, de peau ou d’os. Presque organiques, mais “désactivés” pour la plupart, ils sont liés à des cultes, à la sorcellerie, à la médecine, parfois à des pratiques sacrificielles. Le Château Vodou ? Un long chemin, un investissement personnel, un pari risqué pour Marc Arbogast et sa femme Marie Luce. « Nous sommes des apprentis dans le métier », déplore-t-il. « Il était impensable de ne pas faire de faux pas. La première année, nous ne nous sommes pas assez approchés de la gestion : il a fallu s’impliquer, construire une nouvelle équipe et changer notre fusil d’épaule » pour défendre un sujet méconnu du grand public et mettre sur les rails un projet privé viable économiquement. « La culture doit pouvoir se vendre, s’autofinancer », affirme celui qui a longtemps travaillé dans l’industrie brassicole.
Fischer & Schweitzer
Au terme d’une scolarité à Strasbourg, son père, directeur technique chez Fischer, lui impose son parcours : il ne sera pas médecin, mais intégrera la brasserie, « la queue entre les jambes ». Conditionnement, maintenance, investissement… « Dans une boîte comme celle-ci, on ne vous donne pas le pouvoir, il faut le prendre », se rappelle celui qui a gravi les échelons avant de devenir directeur général de Fischer, puis d’Adelshoffen. Durant sa carrière, il encouragera l’innovation, notamment en lançant de nouveaux produits comme la Desperados ou la boisson aphrodisiaque 3615 Pêcheur, “la bière amoureuse”, à la fin des années 1980. « C’était une boisson “efficace”, dont la recette m’est venue des sorciers, de la pharmacopée africaine. » Pour comprendre sa passion pour l’Afrique, il faut remonter à l’enfance. « Lorsqu’on évoquait Albert Schweitzer, une proche connaissance, c’est tout juste si on ne se mettait pas à quatre pattes pour embrasser le sol », s’amuse le rejeton d’une famille alsacienne de pasteurs. « À ma confirmation, il m’a même fait parvenir une peau de python du Gabon. » Bercé par les récits du grand docteur en Afrique, il est fasciné pour une région qu’il associe à l’image d’un autre héros : Tarzan. « Issu d’un milieu ouvrier, mon père, a pu faire une école d’ingénieur grâce à une bourse : il était champion de France de natation. Durant une compétition, il a rencontré Johnny Weissmuller et s’est complétement approprié le personnage de Tarzan. Il me racontait comment il attrapait des animaux et étranglait des lions. » Marc se rêve en seigneur de la jungle et tire sa première bête… à l’âge de six ans : une souris. Son père a un principe, que Marc Arbogast transmettra à ses enfants : « Lorsqu’on tue un animal, on le mange. » Même tarif pour les rongeurs, comme l’imposait la règle en la vieille ferme de Moussey, dans les Vosges, où s’est installée sa famille à la fin de la Seconde Guerre mondiale, « par crainte de redevenir allemande ». Marc Arbogast va toujours régulièrement se ressourcer dans ce « petit bled » où il cohabite avec ses « bestioles » : poules, chevaux, moutons…
Trophées & fétiches
Il se rend une première fois en Afrique au début des années 1960, avec sa femme, guidé par son double amour, pour la chasse et le continent. Au cours d’un safari au Cameroun, Marc est victime d’une entorse au pied, soignée par un sorcier : une porte vers le monde invisible s’ouvre à lui. Il fait la rencontre du Vodou, une médecine « reconnue », une religion « évolutive et pragmatique », une philosophie de vie « qui fait perdurer le sens de la famille » en permettant de « garder le contact avec les morts, les ancêtres ». En 1974, chez un bokono (sorcier), il tombe sur un fétiche du Nigeria et débute une collection qui ne cesse de s’accroître. Le Château Vodou vient d’ailleurs d’acquérir deux nouveaux objets : un Bla-Boccio (fétiche du Togo) et un crâne (Bénin) utilisé lors de cérémonies. « Aujourd’hui, je veux absolument remonter à leur origine, savoir quand et comment elles ont été utilisées », explique-t-il au milieu de pièces parées de cadenas, ficelles ou ossements humains, éléments qui tous ont un sens, sous un aspect parfois effrayant. « Ces objets ne me terrifient pas, mais je ressens leur force. » Pour en dénicher (et déchiffrer), il part régulièrement en Afrique, gagnant la confiance des bokonos, assistant à des cérémonies, « torse nu, en pagne, en faisant des pas de danse ». Dans le couvent d’une prêtresse, il a notamment longuement insisté afin d’acquérir un flacon, renfermant un virulent poison, fabriqué à partir d’une bouteille à bouchon mécanique customisée. Pas n’importe laquelle : une Fischer.
4 rue de Kœnigshoffen à Strasbourg 03 88 36 15 03 Éclairage sur la Géomancie du Fa, conférence de Marc Arbogast et Jean-Yves Anézo, samedi 11 avril à 17h au Château Vodou