Doux dos-d’âne
Jouant à saute-mouton entre Alsace et Lorraine, cette randonnée autour de Niederbronn-les-Bains alterne gentilles montées et aimables descentes. Nobles ruines médiévales, vestiges romains, pierres suintantes de sanguinaires légendes et souvenirs goethéens en font le sel.
Bourg thermal aux couleurs passées et aux séductions surannées, Niederbronn-les-Bains développe des charmes tout droits sortis d’un cliché de Raymond Depardon. Malgré la modernité revendiquée du Casino Barrière, c’est en effet la “France d’à-coté” qui se déploie sous nos yeux. La première partie de la randonnée confirme cette impression. Sur une langue goudronnée s’alignent un habitat et des signes urbanistiques composites : colombages pavillonnaires néo-ruraux, architecture wilhelminienne avec pierres de grès en bossage, enclos où s’ébattent des lamas (« Quand lui fâché, etc. »), volière dans laquelle bondissent des oiseaux verts et jaunes, scierie en vrac, voie ferrée victime de la politique erratique d’une SNCF soumise au diktat du tout-TGV ne desservant plus les zones périphériques ou encore mignonette chapelle du Breitenwasen protégée par un Christ seventies en lévitation. On y croise même une 205 dans sa version utilitaire, c’est dire. Après ce bond dans le passé, nous quittons le bitume pour une promenade toute en dos-d’âne. Vue en coupe, elle ressemblerait à une sinusoïde de faible amplitude.
Montée descente
Le soleil d’un hiver à l’agonie chauffe une accorte prairie piquetée de buissons disposés de manière erratique : nous longeons un terrain de football campagnard où ont été construits des baraquements de bois branlants à la fonction indéterminée. L’ami François Nussbaumer adorerait le photographier ! La montée vers le col du Schlangenthal est molle et convient parfaitement aux moins ingambes, une caractéristique qui s’adapte aussi à cette rando’ post-confinement, alors que les pattes sont encore rouillées. Marcheurs, encore un effort pour arriver au Grand Arnsbourg fièrement posé sur une barre de grès. Un donjon élancé, un délicat arc en plein cintre… On ne discerne que peu de l’appareil castral, l’accès aux ruines étant interdit. Et pour être sûres que personne ne grimpe, les autorités, toujours soucieuses du bien-être du citoyen-randonneur, ont jeté à bas l’échelle métallique qui permettait de grimper au sommet de cette sentinelle de la vallée de la Zinsel. Les plus téméraires et ceux qui n’ont cure de la loi trouveront toujours une voie d’accès. Il est agréable de pique-niquer dans une tache de soleil, au pied de ces volutes de grès rose où des crétins de toutes les époques ont gravé leur nom. Dérisoire désir de postérité pour caniches décérébrés. Mention spéciale à Kevin 1998 et au dandy alsacien Prummel qui n’a pas laissé la date de son forfait, mais dont l’application et la précision typographique trahissent la fin du XIXe siècle.
Descente montée
La marche se poursuit, l’esprit un brin altéré par les vapeurs du Champagne bu à midi, un simple et efficace Mumm millésimé 2008 faisant l’effet d’un agréable coup de trique. Nous arrivons devant la tour du Wasenkoepfel : d’une hauteur de dix mètres, elle est noyée dans la canopée vosgienne. La vue qu’elle offre est tout sauf panoramique. Dommage c’était sa fonction originelle. N’en reste pas moins qu’on l’adore avec son faux air de pièce de jeu d’échecs et sa plaque célébrant le poète alsacien Auguste Stoeber (1808-1884). Descente. Montée. Épisode on ne sait plus combien ; ces mini montagnes russes finissent, l’air de rien, par casser les pattes. Heureusement, l’arrivée au Jardin des fées distrait nos esprits des petites douleurs du corps : sur cette immense dalle de grès, les hommes du Néolithique adoraient le soleil et pratiquaient des sacrifices humains selon l’archéologue Charles Matthis (1851-1925), demi-frère du célèbre duo de poètes. Les habitants du coin croyaient également que les sorcières s’y réunissaient pour de délirants sabbats où elles copulaient sauvagement avec de lubriques démons. Il est vrai que l’atmosphère du lieu avec ses arbres aux silhouettes déchiquetées et ses cailloux aux formes alambiquées est propice au mystère. Quelques pas plus tard, nous tombons sur des pierres à cupules à l’histoire tout aussi trouble. Autre espace cultuel destiné à des rituels sanglants ou paisibles formations géologiques recouvertes d’une large palette de mousses ? Dans un élan régressif, un de nous chantonne alors le générique des Quat’z’amis où l’inénarrable Fabrice était entouré de trois marionnettes, le volatile aux plumes rouges Toucancan, la coquette Belle Belle et Pousse Moussu, dont le nom dispense de toute description. Une légère descente plus loin et nous abordons les ruines du Wasenbourg, merveille de l’Alsace romantique (que certains attribuent au génie d’Erwin von Steinbach) avec son titanesque mur bouclier haut de dix-huit mètres et épais de trois, sa tête sculptée ou sa délicate fenêtre aux neuf lancettes surmontées de sept rosaces. L’endroit fascina Goethe qui le visita en 1770 – une plaque écrite en gothique en témoigne – et écrivit, emporté par une bourrasque lyrique : « De la tour, on pouvait observer toute l’Alsace en contrebas et la flèche caractéristique de la Cathédrale situait Strasbourg. » À quelques encablures se situe une tour de guet posée sur un piton de grès. Y était installé un temple romain dédié à Mercure, même si les monumentales colonnes replacées par Charles Matthis n’ont absolument rien d’antique. Qui fouillera bien les murs du château trouvera la dédicace latine du temple. C’est bercé par une réflexion sur l’authenticité des vestiges que nous descendons en douceur vers Niederbronn-les-Bains où nous retrouvons le bruit des camions et les odeurs méphitiques de la civilisation qui se répandent en répugnants effluves soufrés stagnant dans l’étroite vallée.