Don Giovanni aux enfers : sympathy for the Devil

Simon Steen-Andersen © Klara Beck

Création musico-vidéo-théâtrale, Don Giovanni aux enfers de Simon Steen-Andersen questionne l’idée même de l’opéra, dans le cadre de Musica.

Nous errons dans les sous-sols de l’Opéra de Strasbourg. Des couloirs étroits dont le béton semble peler mènent à des recoins sombres aux fonctions incertaines. Comme un diable sorti d’une boîte, apparaît Simon Steen-Andersen qui ne se voit, ni comme compositeur, ni comme metteur en scène, affirmant d’emblée, à propos de sa nouvelle pièce donnée en création mondiale : « Je hacke le répertoire et fais du circuit bending1 avec l’opéra », à la fois institution et genre musical. Le spectacle débute par la fin du Don Giovanni de Mozart, lorsque le grand seigneur méchant homme est englouti dans les flammes. On le suit « dans cet enfer lyrique, où finissent les personnages morts et damnés. Au loin, est visible le Hollandais, mais aussi le châtiment de Macbeth, Iago, Barnaba2 ou Don José. Sans oublier Polystophélès, démon composite fait de 19 autres créatures maléfiques. » Mais toutes ces images ne sont-elles pas générées par le cerveau du baryton interprétant Don Giovanni, qui s’est cogné la tête sur le rebord de la trappe où il disparaissait ? « Dans son cauchemar défilent les personnages qu’il a interprétés, des metteurs en scène infernaux, des chefs tyranniques… » Sur la scène et dans tout le bâtiment, grâce à la vidéo, se déploie ainsi cette valse hésitation entre ces deux possibles qui sont autant de manières de questionner le subconscient de l’opéra.

Don Giovanni aux enfers, tournage © Klara Beck
Don Giovanni aux enfers, tournage © Klara Beck

Montage. Collage. Déconstruction / Reconstruction. Transpositions en tout genre. Métamorphosée et mise sens dessus dessous, la musique, reconnaissable parfois, saute d’époque en époque, d’opéra en opéra, de Rameau à Boito, avec des détours par Berlioz. Liste largement non exhaustive. Pour Simon Steen-Andersen, il est possible de « réaliser quelque chose de nouveau avec un matériau préexistant. Je ressens une énergie dans la musique de compositeurs du passé, qui n’a pas été libérée, comme si elle était restée enfermée, ligotée par les interprétations successives », assène-t-il. Alors, il la twiste ou l’utilise à rebours : un chant d’amour entendu mille fois sert ainsi pour une scène de torture dans une dissonance tonique et un processus de dé- / recontextualisation. Rejeton énorme de Staged Night – où il updatait Bach, Chopin, Mozart ou encore Ravel –, cet opéra reflète l’art d’un créateur qui aime plus que tout « tourner les choses dans tous les sens pour voir comment elles réagissent » dans une approche joueuse. Mais cette « espièglerie est néanmoins très sérieuse », conclut le diablotin de la musique contemporaine.

Don Giovanni aux enfers

À l’Opéra (Strasbourg) du 16 au 21 septembre
operanationaldurhin.eufestivalmusica.fr

> TRIO de Simon Steen-Andersen est présenté en clôture de Musica aux côtés de pièces de Sofia Goubaïdoulina et Michael Wertmüller (01/10, Sportzentrum Pfaffenholz de Bâle)

1 Modifier des circuits électroniques, en les court-circuitant, par exemple, afin de les détourner de leur fonction originelle
2 Personnage particulièrement noir de La Gioconda de Ponchielli

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