À Bâle, une exposition s’attache à Dominique Goblet, artiste élargissant les horizons de la BD. Bas-fonds plonge dans sa psyché.
Figure de la bande dessinée indépendante, Dominique Goblet est issue du prestigieux Institut Saint-Luc de Bruxelles, qui forma le gotha du 9e Art franco-belge, de Franquin à Hislaire. Au début des années 1990, elle participe à la création du collectif Frigoproduction : « Nous voulions sortir des injonctions et des stéréotypes propres au médium, brouiller les frontières avec les arts plastiques en travaillant, par exemple, le concept d’exposition en même temps que le livre, ce qui permet de penser la narration sur différents supports », résume-t-elle. Ouverte à toutes les influences – peinture, poésie, danse, cinéma… –, l’artiste fait voler les codes en éclats. Consacrée à Ostende (FRMK, 2021), la première salle du parcours est somptueuse, rassemblant des gouaches où la mélancolie se fait tendresse, où l’abstraction entre en collision avec les vues balnéaires. « J’étais là-bas durant le confinement. Il n’y avait personne, comme si la station replongeait dans son passé », confie-t-elle. Sur ses compositions, dont la bande-son oscille entre Arno et Brel époque Marieke, plane l’ombre d’Ensor.
Plus assurément encore, celle de Spilliaert et du surréalisme d’un Magritte, avec une grappe de vaches méditatives posées sur la plage. « Peindre un paysage, c’est représenter ce qu’on ressent face au paysage » : des scènes amoureuses mystérieuses, presque clandestines, surgissent ainsi, tandis qu’une femme sexagénaire solitaire se dénude en public. Désirs. Fantasmes. Comme si l’inconscient faisait irruption dans le dessin – un modus operandi qu’affectionne Dominique Goblet. On pense à Buñuel… Une majorette apparaît, « celle qui devient le chef d’orchestre de sa propre vie, celle qui s’émancipe et entraîne les autres femmes vers la liberté », affirme celle qui prône « la révélation de la beauté par la puissance de la joie. » L’exposition est une traversée des thématiques chères à la Belge, qui évolue dans une zone grise où l’autobiographie contamine la fiction – Faire semblant c’est mentir, (L’Association, 2007), dont des planches sont montrées, en est un bel exemple –, histoire de plonger dans les Bas-fonds de la psyché humaine avec une immense délicatesse. Parmi eux, le vieillissement, les sites de rencontre en ligne – avec l’extraordinaire travail mené en duo avec Kai Pfeiffer depuis 2011, dont le récent Jardin des candidats est l’ultime avatar – et la place des femmes dans la société : « Pour moi le féminisme ce n’est pas une guerre. C’est faire quelque chose avec les hommes, mais pour les femmes », conclut-elle, pleine de sagesse.
Au Cartoonmuseum Basel – Centre pour l’Art narratif (Bâle) jusqu’au 26 mai
cartoonmuseum.ch
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