Domaine Kreydenweiss ou la philosophie dans le terroir
Pionnier de la biodynamie en Alsace, le domaine Marc Kreydenweiss, géré depuis 2008 par son fils Antoine, produit des vins vibrants, exprimant l’essence du territoire où ils naissent.
Flash-back. Nous sommes dans les années 1980 et le vignoble alsacien ronronne. Des raisins perfusés à la chimie donnent des blancs secs trop souvent mollassons, dont la personnalité peine à s’affirmer (des vins de soif, pour rester polis) et des liquoreux surchargés en sucres. Dans une région en quête d’âme oenologique, quelques pionniers se livrent à des expérimentations salutaires. À Andlau, Marc Kreydenweiss est du nombre : la conversion en biodynamie – presque un gros mot à l’époque, on a tendance à l’oublier – est réalisée en 1989. Il privilégie aussi le terroir, écorchant le culte du saint cépage, unique religion alors en vigueur, replongeant même dans le passé pour retrouver les “gentils”, des assemblages de cépages nobles. Le Clos du Val d’Éléon, à parts égales de riesling et de pinot gris, grandissant sur des schistes, est ainsi un retour aux sources réussi, qui s’est métamorphosé en classique viticole. Voilà flacon dont le millésime 2018 accompagne une recette de noix de Saint-Jacques imaginée par Paul Stradner, chef de la Villa René Lalique. Et le sommelier de la maison doublement étoilée, Romain Iltis, de préciser : « La tension droite, apportée par le riesling, met en exergue le caractère maritime et ses notes d’agrumes se font lien avec la bergamote. Le pinot gris vient ici apaiser cette tension et donne à la texture une sensation plus suave et ainsi épouse le fondant si particulier de la Saint-Jacques crue, accentué sur la partie garnie de noisette. L’ensemble est marqué par l’expression de fumé caractéristique des schistes qui se révèlent dans la finale, imposant la force du terroir pour prolonger l’expression iodée de l’ensemble. »
Quittant l’Alsace pour la région de Nîmes en 2008, Marc y explore la puissance et les charmes de cépages rouges (aujourd’hui, le domaine est géré par son plus jeune fils, Jean), laissant la main à Antoine. Il a poursuivi dans la voie tracée, même si, très vite, il a « choisi un pressurage plus lent, des élevages sur lies plus longs et une forte réduction du niveau de soufre ». Le credo demeure néanmoins le même : « Exprimer la puissance du terroir qui passe au-dessus du cépage », avec des flacons aux étiquettes arty en forme d’épure, incisifs en diable. Quelques mètres seulement peuvent séparer deux grands crus très différents : qu’ont ainsi de commun les schistes noirs de Steige formant une masse pierreuse dure, presque sauvage, du Kastelberg et les grès roses, tendres, policés et friables, du voisin Wiebelsberg ? Ce dernier donne un riesling exceptionnel, qu’on peut garder de longues années et dont le coeur battant est une minéralité ciselée avec élégance – comme une improbable dentelle –, non dépourvue de réminiscences florales et fruitières.
Domaine Marc Kreydenweiss
12 rue Deharbe (Andlau)
kreydenweiss.com