Dieu, Temps & Destin

© Pascal Victor

Trente ans après la création de Mahabharata, son chef-d’œuvre, Peter Brook, 90 ans, en signe une version recentrée sur l’essentiel, Battlefield.

En 1985, il lui avait fallut neuf heures pour monter une sélection des 250 000 vers du plus long poème de l’histoire, mythe fondateur de l’Inde et de sa philosophie. Une incroyable épopée cosmique et théâtrale dont la puissance s’est transmise de génération en génération. L’histoire est immuable, une guerre familiale terrible – 10 millions de morts ! – entre les partisans de cinq frères (les Pandavas) menés par Yudishtira et ceux de leurs cousins Kauravas (100 fils du roi aveugle Dritarashtra). Les premiers sortent vainqueurs du carnage et la pièce débute sur les dépouilles encore fumantes du Champ de bataille donnant titre à la pièce. Peter Brook et Marie-Hélène Estienne signent ensemble cette mise en scène épurée et nous convient à penser l’après conflit, l’actualité mondiale actuelle comme un écho direct (Syrie, RDC…). Comment ce vieux roi aveugle, qui a vu périr tous ses fils et alliés, va-t-il faire face à ses responsabilités avec son neveu victorieux ? Le duo soulève la prise de conscience des deux parties : « Celui qui a gagné dit que « la victoire est une défaite » et ceux qui ont perdu reconnaissent qu’ils « auraient pu empêcher cette guerre. » Et de renchérir : « Notre vrai public », dit Peter Brook, « c’est Obama, Hollande, Poutine et tous les présidents. La question, c’est comment voient-ils leurs adversaires aujourd’hui ? »

© Pascal Victor

Spirituel et charnel, épique et poétique, la pièce est un écrin puisé dans la plus belle des légendes, celle qui fait des hommes les fils des Dieux – Yudishtira est le fils de Dharma (la Loi), Karna, ce frère dont il ignorait l’existence mais qui se laissa tuer par lui en connaissance de cause, celui du Dieu soleil –, parfois leurs égaux en puissance, mais toujours le jouet du Destin, tourmentant nos âmes. Avec une douceur et une justesse touchant à la grâce, le sage maître anglais porte une réflexion sur la mort et le sentiment d’immortalité, la destruction et la justice. Car si cette terre ancestrale « a besoin d’un roi calme et juste » – la nôtre aussi, plus que jamais –, « l’anéantissement n’arrive jamais les armes à la main. Il vient sournoisement, sur la pointe des pieds, en te faisant voir le mal dans le bien et le bien dans le mal. » Que ce soient autour des rives du Gange, de l’Euphrate, du Nil blanc, du Dniepr ou du fleuve Congo, il faudra bien trouver en l’humanité de quoi rebâtir sur les ruines fumantes de l’apocalypse…


Au Grand Théâtre (Luxembourg), du 12 au 14 janvier (en anglais surtitré en français)
www.theatres.lu

À La Comédie de l’Est (Colmar), du 18 au 20 janvier (en anglais surtitré en français)
www.comedie-est.com

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