Comme deux frères de théâtre, Falk Richter et Stanislas Nordey se retrouvent une dernière fois au TNS pour la nouvelle création du dramaturge et metteur en scène allemand. Dans THE SILENCE, Stan joue Falk. Interview.
Falk Richter est connu pour écrire tout au long des répétitions, chaque nuit, donnant le lendemain les nouveaux textes à jouer. Où en êtes-vous avec ce projet où vous serez seul en scène ?
Nous avons fait une petite semaine de répétitions. Falk n’a pas changé sa manière de faire ni ses centres d’intérêts : il écrit très tard, jusqu’à la première, ce qui amène une force rare en France, celle de coller à l’actualité la plus brûlante et immédiate. Il aime capturer l’instant pour saisir le spectateur. Il m’a beaucoup interrogé sur ce qui nous trouble, s’intéressant à ce qui se passe et qu’il ne voit pas depuis l’Allemagne. Concrètement, j’ai fait énormément d’improvisations, ce qui n’est jamais facile lorsqu’on est seul en scène. D’autant plus en anglais, pour que l’on se comprenne l’un l’autre. Falk explore toujours deux pistes : l’état du monde et une approche intimiste proche de l’autofiction. Le point de départ est le décès de son père, avant la pandémie. Cet homme avait été, à 16 ans, l’un des derniers envoyés au front lors de la Seconde Guerre mondiale. Une expérience qui l’a traumatisé à vie et dont tous ses proches ont pâti. Le retour de la guerre en Ukraine le projette de plein fouet dedans, avec ces jeunes hommes envoyés combattre. Nous sommes également marqués par la période du Covid et ce dont on n’arrive pas à se désengluer, ce qu’elle a rendu poisseux. En auteur en prise avec son temps, il a déjà écrit sur le dérèglement climatique, notamment Welcome to Paradise Lost autour de La Conférence des oiseaux dont une partie se trouvait dans la pièce I am Europe, en 2019. S’ajoutent les sujets de la maltraitance en Ephad, celle des animaux dans les abattoirs… autant de pistes qu’il transforme et exagère pour faire théâtre.
Beaucoup de choses vous réunissent : le silence d’un père que vous avez perdu récemment, la passion du théâtre, de l’engagement, un amour de la langue. Il est votre frère de théâtre…
Nous en rigolions il y a quelques jours en pensant au générique d’Amicalement vôtre ! où les vies de Roger Moore et Tony Curtis défilent en parallèle. Comme eux, nous avons de nombreux points communs : nous sommes artistes, politiquement engagés, nos vies familiales se rejoignent par endroits. Falk est comme mon petit frère allemand, nous sommes réellement proches dans le regard que nous portons sur le monde comme dans ce qui peut nous arriver tous les jours. Nos caractères sont par contre très différents mais une grande confiance nous unit. Quand j’ai découvert ses textes, il était clair qu’il n’existait alors pas d’auteur en France qui écrivait comme lui : de la vraie littérature, pas journalistique mais avec une puissante dimension intime. Très vite, il m’a envoyé le journal quotidien qu’il tient, la source de toute son œuvre. C’est de là qu’est né My Secret Garden, en 2010, dont Je suis Fassbinder 1 était la continuité en 2016. Adolescent, une rétrospective consacrée aux films du cinéaste allemand avait été donnée dans son village, ce qui avait changé sa vie, lui permettant de trouver du sens et de s’ancrer artistiquement.
Dans le 12e numéro de Parages, le TNS publiait un long extrait de son journal intime2 datant d’octobre 2021. Il s’y décrit lors d’un séjour au Danemark comme littéralement « hanté par le fascisme dans les pensées des Allemands ». Ce pan d’histoire est très vivace chez lui…
La montée de l’AfD3 est traumatisante car après la dénazification, c’est un choc terrible et impensable pour la plupart des gens. Et puis ça nous renvoie à la dépétainisation qui n’a jamais eu lieu en France. On voit bien une grosse résurgence ici aussi. Parler de son père est pour Falk Richter un moyen d’évoquer un combattant et d’affronter les choses en face. Qu’un auteur s’y attèle est assez rare pour être souligné. Ici le manque est béant, il existe si peu d’écrits sur l’Algérie, Pétain… Je m’efforce toujours de lui raconter à quel point nous sommes à la fois semblables et différents : les 90 députés Rassemblement national, le silence de plomb sur la Guerre d’Algérie sont autant de sujets dont les artistes s’emparent peu à l’inverse de leurs équivalents allemands.
Vous avez débuté votre aventure à la tête du TNS par Je suis Fassbinder et vous allez la clore, ensemble, avec THE SILENCE. Une évidence ?
Pour être honnête, c’est plutôt un joli hasard car une autre création aurait dû voir le jour. S’engager sur un texte pas encore écrit à mon arrivée, c’était plutôt gonflé. Là aussi, je n’ai même pas une ligne à possiblement apprendre au mois d’août ! Une seule chose est sûre, c’est que le silence du titre est celui du père de Falk Richter. Le reste se décantera en septembre.
Il était question d’un solo accompagné d’apparitions de différents comédiens en vidéo…
Eh bien finalement je jouerai tous les rôles moi-même. Il n’y aura que la vraie mère de Falk, comme chez Fassbinder ! Il trouvait plus intéressant que j’interprète seul tous ses “moi”.
Vous aviez déjà dans Je suis Fassbinder quelques longues tirades qui entretenaient le trouble chez le spectateur sur le statut de cette parole : les mots de Richter joués par vous interprétant une sorte de “Falkbinder”. Vous prenez plaisir à plonger, ici, encore un peu plus loin dans l’autofiction ?
J’adore ça ! Je trouve de plus en plus ma place dans ce trouble que vous décrivez. Le dernier monologue de Je suis Fassbinder, dans lequel je parlais à la première personne, a fait croire à la plupart des gens que c’était mon avis que j’exprimais, alors que pas du tout. Surtout, il y a beaucoup de travail derrière pour arriver à cela, et c’est ce qui m’amuse énormément. Le plus agréable reste que le spectateur ne sache jamais si ce que vous dites vous appartient ou pas.
La création au Théâtre national de Strasbourg a été décalée du 1er au 8 octobre
tns.fr
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