Denses Danses
Pour sa 23e édition, le festival Nouvelles, dédié à la danse et à la performance, propose un alléchant florilège international de productions symbolisant la manière dont le monde chorégraphique est réactif aux questions sociétales actuelles.
Il y a tout d’abord les stars de la discipline qui ne cessent de prendre des risques : Mathilde Monnier, inspirée pour Twin Paradox (29 et 30 mai au Maillon) par les marathons des années 1920 pendant la crise économique, où les gens dansaient jusqu’à épuisement, forme un long travelling de duos endiablés, de sauts et de mouvements en boucle, de corps à corps célébrant la nécessité du mouvement et du romantisme face à l’inexorable (voir un extrait vidéo ici). Mais aussi François Verret, habitué du festival qui dévoilera la première étape d’un projet au long cours, Chantier 2014 / 2018 (le 21 mai à Pôle Sud). « Nous l’accompagnons dans une longue résidence à étapes jusqu’à la première de ce projet d’envergure, prévue en décembre 2014 », confie Joëlle Smadja, directrice de Pôle Sud. « Dans son travail autour de la Grande Guerre avec Jean-Christophe Paré, un immense danseur, il questionne 14-18 en tant que symbole et symptôme, se demandant si elle ne continue pas sous une autre forme ? »
Do it yourself
Le coup de cœur de la programmatrice est pourtant à chercher du côté d’une petite forme : « J’ai totalement craqué sur Not my piece de Martin Schick (le 29 mai à Pôle Sud, extrait vidéo ici). Ce Suisse-Allemand installé à Berlin crée un ovni autour du post-capitalisme, inspiré des problèmes politiques de la Grèce et de l’Europe. Il envahit le plateau de tout ce dont on aurait besoin si l’on ne consommait plus : toilettes sèches, vélo générant de l’électricité… allant au bout de cette démarche tout en dénonçant ses limites. Le public est appelé à participer à ce qui est un vrai régal, drôle et intelligent. »
Ces moments participatifs, très prisés des festivaliers prendront diverses formes, notamment dans “La Journée Particulière” conçue en partenariat avec le Frac Alsace : une incroyable conférence-performance de Guillaume Désanges (Signs and Wonders, le 26 mai au Frac, à Sélestat) mais aussi la possibilité offerte par Tsuneko Taniuchi de se marier (à plusieurs et quelles que soient les configurations), au musée de la Folie Marco de Barr (26 mai). Diverses Blanche-Neige seront entièrement composées d’Alsaciens qui réaliseront l’installation de Catherine Baÿ, multipliant les apparitions de ce personnage au Château de Spesbourg (dimanche 26 mai à Andlau). N’oublions pas David Rolland (L’étranger au Paradis, mardi 28 mai) qui demande à 10 danseurs professionnels de la région de répéter dans un laps de temps très court (quatre heures) sa pièce avant de la jouer. « Une véritable performance pour ces interprètes qui doivent s’habituer à être audio-guidés avec des casques. Le spectateur sera en face d’une pièce qui a déjà existée, mais forcément différemment puisqu’avec d’autres danseurs, et qui se construit devant lui », explique Joëlle Smadja.
Africa is the future
Suivant depuis deux saisons les Scénographies Urbaines [1. Pôle Sud est l’un des coproducteurs du projet de résidence à Dakar des Scénographies Urbaines, réalisé fin 2012 dans le quartier populaire de Ouakam – http://urbanscenodakar2012.tumblr.com] notamment au Sénégal, Nouvelles accueille deux solos « aux questionnements politiques sur la place de la femme, le rapport à l’occident » du congolais Andréya Ouamba et de la sénégalaise Fatou Cissé (Step Out/2 et Regarde-moi encore, le 24 mai à Pôle Sud), suivis de la projection de films (un avant goût à découvrir ici) tournés à Ouakam par Jonathan Debrouwer, ancien pensionnaire des Arts déco qui interroge l’espace urbain, la place des arts et des individus dans la cité. Symbole de la vitalité des artistes africains, la performance Corps nature du jeune Androa Mindre Kolo (dimanche 26 mai) sera l’un des moments forts du festival. Ce Congolais recrée, au milieu des ruines du Château de Spesbourg, sa bâtisse familiale d’Aru situé à l’extrême Est du Zaïre. Une manière de « revisiter les drames de [s]on passé et de fantasmer l’avenir ». Suite à l’assassinat de son père en 1986, Androa est adopté par un oncle, à Kinshasa, débutant une longue successions d’exils qui le forcent à vivre loin de sa mère et de son frère Kennedy, à abandonner sa langue et sa vie grégaire. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, sa rencontre avec l’artiste sud-africain Steven Cohen l’ouvre à la performance. Jean-Christophe Lanquetin [2. Créateur avec François Duconseille des Scénographies Urbaines] lui permettra plus tard de venir en France, aux Arts déco de Strasbourg. Embrassant la vie de mikiliste – terme d’argot lingala désignant les personnes choisissant l’exode pour l’Europe – il constate les inégalités jonchant la route du désespoir nourrie par « les souffrances nécessaires à quitter les difficultés de son existence ne menant qu’à d’autres ». Clandestinité, exode, mort, circulation des hommes et des richesses peuplent son travail.
Les souvenirs d’enfance et les absences qui meurtrissent son âme seront au cœur de Corps nature, dans « ce château délabré sans électricité, seulement habité par les touristes, comme ma maison familiale aujourd’hui squattée à Aru ». Son ami et artiste Congolais Christian Botale Molebo, rencontré aux Beaux-Arts de Kinshasa et installé avec lui à Strasbourg, aura la lourde tâche d’interpréter Kennedy, ce frère qu’il ne connaît quasiment pas, dans une performance en forme de rituel où la mémoire d’Androa s’incarnera : des chèvres symboliseront la richesse du village, les costumes constitués d’objets abandonnés récupérés et « adoptés » se mêleront aux éléments naturels (eau, feu, terre) et sacrés pour une performance en forme de premier pas – le plus dur, paraît-il – vers un futur documentaire sur cette absence qui le verra affronter son histoire, lors du retour au pays.
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